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plus nettement le bon plaisir du poète. Personne n’a été plus convaincu des droits de l’artiste (sous la réserve que le public l’applaudisse) et des prérogatives illimitées du bien dire.


Tout est fin diamant aux mains d’un habile homme ;
Tout devient happelourde entre les mains d’un sot.


Tout est fin diamant... Ici, je ne partage pas entièrement l’opinion de M. Faguet et celle de Sainte-Beuve : qu’il n’a dépendu que de La Fontaine, habile homme, d’exceller dans tous les genres. Si nous ne possédions que les Fables et les Contes, on pourrait le soutenir. Malheureusement, nous avons son théâtre, ses odes, son roman, ses poèmes héroïques, toute son œuvre parallèle aux Contes et aux Fables. On y trouvera partout de beaux vers, c’est entendu. Mais le jeu des beaux vers ne doit point nous faire illusion. C’est pour les poètes de second ordre qu’il a été inventé. Nous sommes en droit de demander à La Fontaine beaucoup plus que d’heureuses rencontres, et de chercher pourquoi « ce beaucoup » plus, il ne nous le donne que dans une partie de son œuvre. On objecterait à tort que le reste n’est qu’essais, marche incertaine d’un talent qui s’ignore. Nous n’avons rien de ce qu’il fit dans la période des tâtonnemens. Quand il a débuté, il était presque complètement formé. Et il exagère, lorsqu’il s’accuse ou se flatte de changer tous les jours « de manière et de style. » Il n’a eu que deux manières : celle qu’il devait à la société mondaine et à sa nature voluptueuse, et celle qu’il devait à l’exemple de Molière et à son propre génie. Et ne regrettons point, si inférieure qu’ait été la première, qu’il s’y soit souvent attardé, car, sans elle, nous n’aurions peut-être plus eu toutes les grâces et les délicatesses de la seconde. Supprimez le La Fontaine mondain : rien n’atténuera plus la crudité de ses contes et ne voilera plus la cruauté de ses Fables.


Il commence par le théâtre. Il ne se trompe pas sur l’essence comique de son génie ; il ne s’abuse que sur le genre qu’il aborde. L’œuvre dramatique réclame un effort soutenu dans l’invention dont il est incapable. La Fontaine imaginera des scènes de bonne comédie : c’est ce qu’il a fait toute sa vie ; mais chaque scène se suffit et forme une pièce entière. Le théâtre vit de l’étude des âmes et des caractères. Sa psychologie est courte.