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« J’avais plus d’imagination que je n’en ai aujourd’hui, » disait-il en nous présentant son Adonis. Douce ironie du La Fontaine réaliste à l’égard du La Fontaine héroïque ! Son imagination n’évoquait point alors : elle se travaillait à décrire. Il décrivait minutieusement les chambres de Vaux, les embellissemens de Versailles, les rocailles, les grottes, les lustres de rochers, les bassins, les divinités qui décorent les murs et les plafonds : « Je peins quand il me plaît la peinture elle-même. » il veut être exact ; il l’est aux dépens de la vérité. Il compare la vapeur des jets d’eau à la blanche fumée que la chaux exhale, et il ne sent pas que cette comparaison nous gâte les jeux irisés de Thétis et de Phébus qui ne ressemblent plus qu’à deux gâcheurs de mortier. Il peint tout, et nous ne voyons rien, à moins que le spectacle n’éveille sa rêverie ou n’émeuve son désir de volupté. Alors seulement le grand poète se révèle. Mais ses beaux coups d’aile ont une envergure que son vol ne soutient pas. Il s’élève d’un mouvement aussi harmonieux que soudain, puis il s’affaisse. Exemple, sa peinture de la Nuit dont on ne cite jamais que quelques vers :


Cette Divinité digne de vos autels
Et qui même en dormant fait du bien aux mortels,
Par de calmes vapeurs mollement soutenue,
La tête sur son bras et son bras sur la nue,
Laisse tomber des fleurs et ne les répand pas.


Ces vers ont une grâce aérienne, et l’on voudrait arriver tout de suite au dernier murmure du poète qui suit amoureusement sa vision dans l’espace.


Qu’elle est belle à mes yeux, cette Nuit endormie !


Mais il n’y arrive qu’après cinq vers dont trois au moins sont plats et lourds :


Fleurs que les seuls zéphyrs font voler sur leurs pas,
Les pavots qu’ici-bas pour leur suc on renomme,
Tout fraichement cueillis dans les jardins du Somme,
Sont moitié dans les airs et moitié dans sa main,
Moisson plus que toute autre utile au genre humain.


Et quand il a enfin soupiré : Quelle est belle à mes yeux... rien ne l’avertit de ne pas continuer, de nous laisser achever tout seuls la rêverie que nous avons commencée avec lui :