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de couleur, « blancs escaliers, » « lumière bleue » et de substantifs qui miroitent, pourpre, or, brocart. Mais voici Le Rat et l’Éléphant :


Un rat des plus petits voyait un éléphant
Des plus gros et raillait le marcher un peu lent
De la bête de haut parage
Qui marchait à gros équipage.
Sur l’animal à triple étage,
Une sultane de renom,
Son chien, son chat el sa guenon,
Son perroquet, sa vieille et toute sa maison.
S’en allait en pèlerinage.


Ici, pas une épithète, pas un seul procédé de peintre ; et pourtant une impression de violente enluminure. Le pittoresque résulte non des mots que le poète emploie, mais du mouvement de ses vers, inharmonieux comme la marche de l’éléphant, secoué par le redoublement des rimes comme les trois étages qu’il supporte. La longueur du mètre n’a rien à voir dans l’effet obtenu. Cette pagode ambulante, qui menace de chavirer au roulis de la lourde bête, ne reprend son équilibre qu’au dernier vers, un des plus courts et qui, venant après un grand vers disloqué, nous paraît le plus solide. Chez La Fontaine, c’est le mouvement qui produit la couleur.

Il le recherche avant tout et dans les moindres détails : « la main qui par les airs chemine » au lieu de « dans les airs » qu’il avait d’abord écrit ; « Le long d’un clair ruisseau buvait une colombe : » la colombe sautille et l’eau court. Répétitions, négligences, ellipses, assonances inutiles, il n’a aucun scrupule de purisme, pourvu qu’il attrape le mouvement. Non qu’il ignore la vertu des mots. On sait assez la variété de son vocabulaire, son usage très sûr de l’archaïsme et du mot peuple, et son art de grandir les petites choses par le mot noble qui ne va jamais jusqu’à l’emphase. S’il a rarement recours à l’adjectif, il en connaît la valeur sonore, comme il connaît la valeur lumineuse du nom propre :


Quatre animaux divers, le chat Grippe fromage,
Triste Oiseau le Hibou, Ronge maille le Rat,
Dame Belette au long corsage.
Toutes gens d’esprit scélérat.
Hantaient le tronc pourri d’un pin vieux et saivage.