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plongé et de plus en plus perdu dans son rêve, allait continuer d’entretenir son père de l’unique sujet qui lui remplît le cœur. Il faut lire, dans le précieux recueil de M. Schiedermaier, le texte original de ces expansions enthousiastes et irréfléchies du jeune amoureux, — répondant à des lettres où son père ne se lassait pas de lui décrire éloquemment sa gêne, le poids terrible de ses dettes, ses humiliantes démarches auprès des parens de ses élèves, et jusqu’à l’état pitoyable de sa garde-robe, — pour se rendre compte de l’espèce de coup de folie provoqué soudain, au fond de l’âme ingénue de Mozart, par sa rencontre de l’astucieuse et charmante Aloysia Weber. Tous les prétextes lui sont bons pour proclamer une fois de plus les mérites sans pareils de la bien-aimée, l’excellence intellectuelle et morale des parens de celle-ci, et son propre désir de l’épouser le plus vite possible. Ayant appris de son père le mariage prochain de l’un de ses amis salzbourgeois : « De tout mon cœur je lui souhaite une heureuse chance, — écrit-il, — mais voilà encore un mariage d’argent, et rien de plus ! Ah ! ce n’est pas ainsi que j’entends me marier ! Je veux faire moi-même le bonheur de ma femme, et non point me servir d’elle pour mon bonheur, à moi ! » Après quoi, le plus tranquillement du monde, il répète sa résolution de ne pas aller à Paris. « Je ne vois pas, dit-il, ce que je pourrais faire dans cette ville... Je suis un compositeur, avec un talent naturel que je n’ai pas le droit d’enfouir sous terre ; et c’est à quoi me condamnerait un trop grand nombre d’élèves car il n’y a pas de métier qui trouble et fatigue l’esprit autant que celui de donneur de leçons ! » Et puis, deux pages plus loin, en manière de post-scriptum : « J’ai oublié, dans ma dernière lettre, de vous signaler l’une des plus grandes qualités de Mlle Weber. C’est, à savoir, qu’elle a une façon superbe de chanter le cantabile. Je vous la recommande de toutes mes forces, cette pauvre, mais excellente petite Weber. Je lui ai donné à étudier trois de mes airs pour la De Amicis, ma Scène pour la Duschek et quatre airs de mon Re Pastore, » etc.

On comprend que, cette fois, Léopold Mozart se soit cru obligé d’élever la voix au-dessus même du ton grave et sévère de ses lettres précédentes, — ne fût-ce que pour tâcher à réveiller notre jeune rêveur. Sa longue lettre du 23 février, — publiée le mois passé dans un journal allemand, — risquerait de nous paraître d’une dureté excessive si, derrière la violence plus ou moins affectée de ses reproches, nous ne devinions clairement cette intention de frapper un coup assez fort pour contraindre Wolfgang à se « dégriser » de l’ivresse où l’entretenait probablement son nouvel entourage. « Pourquoi m’as-tu écrit des