Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/935

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

j’avais de l’argent, de cet argent que plus d’un qui ne le mérite pas se plaît à dépenser si misérablement ; ah ! que si j’en avais, avec quelle joie infinie je vous viendrais en aide ! Mais, hélas ! vous savez ce qui en est : celui qui peut ne veut pas, et celui qui veut, celui-là ne peut pas ! » Suit une page absolument délicieuse, où le jeune garçon, prenant au sérieux son rôle de conseiller, décrit minutieusement au vieux souffleur la manière dont il convient que celui-ci s’accoutume dorénavant à user de savoir-faire et de diplomatie, pour tirer profit du talent de sa fille.


En attendant (que lui-même, Mozart, soit parvenu à assurer le sort des Weber), ne manquez pas d’insister énergiquement pour l’amélioration de votre solde, et pour une bonne rémunération des services de votre fille ! Et puis, notez bien ce que je vais vous dire : lorsque notre chère héroïne devra chanter à la Cour, et que si, dans l’intervalle, elle n’a pas reçu une réponse favorable, faites-lui prétexter une petite indisposition ! Recommencez cela souvent, c’est moi qui vous le demande ! Puis, après plusieurs de ces absences, laissez-la tout d’un coup chanter de nouveau ! Vous verrez quel excellent effet cela produira. Mais seulement il faudra procéder avec une finesse et une ruse extrêmes. « Vraiment, vous êtes tout à fait désolés, mais voilà que Louise, tout juste au moment où elle doit chanter, voilà qu’elle est souffrante ! » Oui, c’est cela qui produira de l’effet ! Et précisément c’est ce que je désire. Et quand ensuite votre fille chantera, il faudra que l’on sache bien qu’elle le fait par une complaisance exceptionnelle ! Elle ne se sentira pas encore entièrement remise, elle fera simplement tout son possible pour contenter le prince Électeur, — comprenez-moi bien, n’est-ce pas ! Et pourtant il faudra qu’elle s’applique à chanter avec toute son âme, le mieux qu’elle pourra ! Et puis que si l’Intendant, ou n’importe qui vous interroge sur la santé de mademoiselle votre fille, alors vous lui direz, mais tout confidentiellement, que la chose n’a rien d’étonnant : la pauvre fille souffre surtout d’une maladie morale ; elle s’est donnée de tout son cœur à l’étude du chant, y a fait des progrès que personne au monde ne saurait contester, et voilà qu’elle a vu que toutes ses peines n’avaient servi de rien, et que son désir et sa joie d’être agréable à Son Altesse Électorale étaient tombés en poussière ! Si bien qu’elle a perdu toute sa passion pour la musique, et s’est négligée, et aurait même véritablement abandonné le chant si son père ne lui avait pas dit : « Non, ma fille, ton travail ne restera pas sans fruit ! Si l’on ne veut pas te rendre justice ici, sois sûre qu’on le fera ailleurs ! Et c’est aussi bien à quoi je songe, à trouver un autre endroit où ton talent soit mieux apprécié ! » Et puis, que si l’on vous demandé où vous comptez aller : « Je ne le sais pas encore ! »


La vraie solution, Mozart l’a trouvée. Il faut que les Weber attendent son retour, après quoi l’on s’en ira chercher fortune à Mayence ! Car il se peut fort bien que lui-même, Mozart, soit bientôt