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celle-ci, tout de même que son « vertueux » père, avaient oublié le pauvre petit « croque-notes » qui, naguère, s’était mêlé de les prendre sous sa « protection. » La veuve de Mozart, — car on sait, que celui-ci, pour son nouveau malheur, allait épouser ensuite la plus jeune sœur d’Aloysia Weber, — a naturellement eu soin de nous cacher toutes les circonstances de l’écroulement du seul grand amour de son mari : mais quelques passages des lettres de l’amoureux congédié à son père, pendant son second séjour à Munich, en décembre 1778, nous laissent deviner que Fridolin Weber aura, « en douceur, » démontré au jeune homme toute la folie de ses belles espérances, tandis que la bien-aimée, de son côté, lui aura simplement tourné le dos, sans daigner même s’excuser envers lui d’une conduite qui lui aura semblé la plus sage du monde et la plus légitime. « Je suis arrivé ici depuis quatre jours, — lisons-nous notamment dans la lettre du 29 décembre, — mais il m’a été jusqu’ici tout à fait impossible d’écrire ; et aujourd’hui encore je ne fais rien que pleurer !... » Puis, un peu plus loin : « J’ai peur que vous ne parveniez pas à lire mon écriture : mais nul moyen de faire mieux, mon cœur est trop misérable et j’ai les yeux trop pleins de larmes ! J’espère que vous allez bientôt m’écrire, et que cela m’aidera à me consoler. »

Hélas ! non, le pauvre enfant n’allait pas même connaître cette dernière « consolation ! » Et, en vérité, l’on ne peut s’empêcher d’estimer que la rigueur paternelle de Léopold Mozart, plus ou moins nécessaire dans tous les autres cas, s’est montrée profondément injuste, — pour ne pas dire odieuse, — dans l’espèce présente. « Hâte-toi de revenir à Salzbourg, si tu ne veux pas que j’aille te ramener de force ! » Telle est à peu près la seule réponse que paraît avoir inspirée au vieux maître de chapelle le spectacle des larmes ingénues de son fils. Et Wolfgang a, naturellement, obéi ; et bientôt une foule d’œuvres puissantes ou légères nous révèlent qu’il s’est plongé de nouveau tout entier dans cette composition musicale dont il avait écrit un jour qu’elle était ici-bas son unique besoin et son unique joie : mais, avec cela, j’imagine que longtemps encore il aura dû se sentir par instans le cœur traversé comme d’un coup de poignard, au souvenir de la manière dont il s’était enfin réveillé de son beau rêve d’amour sous l’effet d’un regard dédaigneux de sa charmante et cruelle « héroïne. »


T. DE WYZEWA.