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peu de points communs avec celle de la Chambre, qui est celle de la rue de Valois. M. Caillaux était aussi désigné pour faire cette politique que M. Ribot l’était peu. Celui-ci aurait consenti à faire un ministère de conciliation et, dans une certaine mesure, de transaction. Devant l’attitude du parti radical-socialiste, un pareil ministère était impossible. M. Ribot n’avait donc plus qu’à faire part à M. le Président de la République de l’insuccès de sa tentative.

M. Poincaré a fait alors appeler M. Jean Dupuy et lui a confié le mandat auquel M. Ribot venait de renoncer ; mais où M. Ribot avait échoué, comment M. Jean Dupuy aurait-il réussi ? Sa conception politique était la même et, tout comme M. Ribot, il avait, aux yeux de la rue de Valois, le vice rédhibitoire de ne pas lui appartenir. Sa tentative était condamnée d’avance : elle a échoué. Arrêtons-nous ici un moment pour admirer, chez ces radicaux-socialistes, partisans ardens du régime majoritaire, l’habileté avec laquelle ils escamotent à leur profit la loi du nombre. Combien sont-ils ? 150. Combien y a-t-il de députés en dehors d’eux ? Environ 450. Les 150 n’en font pas moins la loi aux 450 ; ils imposent leur veto à la formation d’un ministère ; ils veulent être les maîtres, et ils le sont. Pourquoi, sinon parce que leur audace, qui est grande, tire un surcroit de force de la timidité de leurs adversaires. On se demande ce qui serait arrivé si, passant outre au veto de M. Caillaux, M. Ribot ou M. Dupuy avait fait un ministère et interrogé de nouveau la Chambre pour savoir où était décidément sa majorité… Mais n’insistons pas.

Après le double renoncement de M. Ribot et de M. Jean Dupuy, M. le Président de la République a confié le soin de former le ministère à M. Doumergue, qui jouit, comme on dit, de la sympathie de ses collègues et sans doute la mérite, et enfin qui est un des représentans attitrés de la rue de Valois : c’est à cette dernière qualité qu’il a dû sa bonne fortune. Dès lors, les difficultés qu’avaient rencontrées MM. Ribot et Dupuy devaient s’aplanir devant lui, mais il en a rencontré d’autres. Le croirait-on ? M. Doumergue avait rêvé d’attacher à son char de triomphe M. Ribot et M. Dupuy : il leur a demandé, avec une insistance à quelques égards flatteuse, de faire partie de sa combinaison, l’un comme ministre des Affaires étrangères, l’autre, comme ministre de l’Intérieur. C’était, en vérité, une prétention hardie de la part des radicaux, de vouloir faire entrer M. Ribot et M. Dupuy dans leur ministère, après avoir refusé d’entrer dans celui qu’ils avaient essayé de former eux-mêmes. La réponse de MM. Ribot et Dupuy était trop facile : c’est qu’ils tenaient à leurs principes tout autant que les