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un homme rompu à ces affaires, M. Doumergue s’y met lui-même. On a vu le résultat dans le premier cas : que faut-il attendre du second ? M. Pichon était au quai d’Orsay, il y était à sa place : pourquoi ne l’y a-t-on pas laissé ? Est-ce parce qu’il avait cessé de plaire à M. Clemenceau et qu’on voulait plaire à M. Clemenceau ? Est-ce pour tout autre motif ? Quelle que soit la cause réelle de la disgrâce de M. Pichon, elle n’a rien à voir avec les intérêts du pays. Après M. Doumergue, après M. Caillaux, parlerons-nous des autres ministres ? Les uns sont trop connus, les autres ne le sont pas encore assez. Les uns sont des revenans, les autres des nouveaux venus. Dans l’ensemble, on ne peut pas dire qu’ils étonnent, car quel autre ministère les radicaux unifiés auraient-ils pu faire ? Mais ils inquiètent. Ils sont une réaction audacieuse contre la politique que la Chambre avait à maintes reprises approuvée, et que le pays avait applaudie.

Résumons-nous. Un vote unique, sur une question unique, qui n’avait pas un caractère nettement politique, a permis au parti radical de s’emparer d’un seul coup de tout le terrain qu’il avait perdu et de s’y vautrer. Mais a-t-il une vraie majorité et le ministère durera-t-il ? Il s’appliquera sans doute à se faire petit, modeste, inoffensif, pour qu’on le laisse vivre jusqu’aux élections prochaines ; on s’y attend et peut-être est-ce en partie par là que s’explique la hausse de la Bourse qui l’a accueilli ; le ministère promettra l’impôt sur le revenu, mais il n’aura pas le temps de le faire ; on compte sur son impuissance ; ce sera le ministère des ajournemens ; cela permet de respirer. Pour vivre, il est condamné à ne rien faire, ce qui n’empêche pas que sa présence seule ne soit un grand mal. Mais enfin, puisque tout le monde invoque la majorité de la Chambre, nous l’invoquons aussi ; il dépend d’elle de se ressaisir. Le groupe de la rue de Valois se compose de 150 membres et la Chambre en a 600.


Nous ne raconterons pas dans tous leurs détails les graves événemens qui viennent de se passer en Allemagne : ces détails sont connus ; depuis quinze jours, la presse du monde entier les a relatés avec abondance et non sans étonnement. Dans un des discours qu’il a prononcés devant le Reichstag, le chancelier de l’Empire a dit avec grande raison que l’incident de Saverne avait eu un retentissement hors de proportion avec son importance véritable : ce qui est important, en effet, ce n’est pas l’incident, mais la tournure qu’on lui a donnée.

L’opinion française a bien fait de ne pas prendre au tragique, ni