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qui a été la lumière de sa vie, avait sa source dans l’Evangile, dans le sentiment chrétien très élevé et très large qui vivait dans son cœur et qui, de là, éclairait son intelligence et dirigeait son jugement ; il est le trait dominant de sa personnalité morale ; il donne à sa physionomie ce qu’elle a de plus noble, de plus désintéressé. Même ses prédilections pour la « liberté » sont, chez lui, une forme de ce besoin de justice. Lorsqu’un conflit s’élève dans son esprit entre les doctrines « libérales, » qui lui venaient de son milieu, de son éducation, de son goût personnel pour l’indépendance, et son ardent et profond désir de justice, c’est le second qui l’emporte.

Peu d’hommes de notre temps ont eu, du rôle du christianisme et en particulier de l’Église catholique, dans la société moderne, une idée plus grande qu’Anatole Leroy-Beaulieu ; peu d’hommes ont été plus préoccupés que lui de l’avenir de cette Église dont le pouvoir lui apparaissait comme le plus haut qui ait jamais existé en aucun temps et comme le seul capable, encore aujourd’hui, d’opérer dans les sociétés humaines cette réforme morale sans laquelle il estimait que toutes les autres sont caduques. Il pense, avec Saint-Simon, que le grand magistère moral de l’humanité doit appartenir à un pouvoir religieux ; et il croit, à l’encontre de Saint-Simon, que ce pouvoir peut être l’Église catholique et la Papauté. Il a beaucoup lu les grands catholiques de l’école « libérale ; » il voit, comme eux, l’avenir dans une alliance, une collaboration de l’Église et de la « liberté. » J’ai dit déjà comment il comprenait la « liberté ; » mais il n’était pas, comme ces foules dont parle Bossuet, prêt à suivre tous les faux prophètes, « pourvu qu’il en entende seulement le nom. » Il n’était pas un doctrinaire du « libéralisme, » moins encore dans le domaine religieux que dans le domaine économique. Dans l’introduction de son livre l’Église et le Libéralisme, il a soin de spécifier qu’il s’agit de la « liberté » politique, et que d’ailleurs « la liberté n’est qu’un moyen et non un but. » Il croit à la nécessité et à l’avenir de la « liberté » politique et il a beau regarder autour de lui, il ne découvre pas « pour les questions religieuses notamment, d’autres solutions que les solutions libérales. » La « liberté » qui lui est chère, ce n’est pas l’idole révolutionnaire, le principe abstrait et absolu condamné par Grégoire XVI et Pie IX, c’est plutôt les « libertés, » telles qu’on les comprend en Angleterre