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« Pax aut Bellum, » m’a dit le solitaire de Monte Olivello. J’ai répondu : « Bellum. » Aujourd’hui, je connais la stérilité de ces luttes, de ces heurts, où s’absorbe la jeunesse, et qui ne valent qu’autant qu’un mariage, une alliance, une étroite union les terminent ; je sais que, pour progresser, il faut s’associer avec un nombre de choses chaque jour plus considérable, prendre le pas avec tout ce qui marche, trouver le rythme universel, cesser de s’opposer, retrouver l’unité dont nous sommes issus, où nous devons rentrer. Après trente années, la voix du vieil homme s’est fait accueillir ; les cordes qu’elle devait frapper se sont mises à vibrer, et l’enthousiasme qui me disposait à une vie dangereuse se résout en une nostalgique aspiration à l’harmonie. Aujourd’hui, si je rencontrais l’Ange, je n’engagerais pas la lutte, je lui dirais : « Bel étranger, où est votre violon ? »

Pax ! mot magique, formule d’un désir, vieux comme l’humanité, de nous soumettre, de nous déprendre de nous-mêmes et de nous hausser hors du monde de la nature aveugle et batailleuse. « Maintenant, plus que de la musique, » conseille la Sibylle à Socrate. « Je ne veux pas mourir sur le coffre, » déclarait Turenne. Jean-Jacques Rousseau fait un recueil d’airs, de romances et de duos qu’il intitule : Les consolations des misères de ma vie. Au terme de son âge, Beethoven compose dans sa Messe en ré le triomphe de la paix intérieure. Lamartine, chargé d’expériences et d’années, conclut que « l’homme n’a pas été créé pour autre chose que l’adoration. » Même le vieux Renan, un degré plus bas, disait : « Je lirai des romans. » Et j’en connais pour qui ces trois lettres Pax, inscrites sur le marbre, ramènent la douceur dans un cimetière de novembre.

Ah ! puisse-t-elle ne jamais disparaître de nos villages, la haute demeure au front de laquelle rayonne ce grand mot, si puissant qu’il adoucit la mort. Que l’église s’écroule, où pourrons-nous rejoindre désormais le monde de l’âme, et, pauvres gens, écouler la musique de la Sibylle, les airs, les romances et les duos de Jean-Jacques, l’hymne adorant de Lamartine ? Nous faudra-t-il nous contenter d’une nature aveugle, implacable ? Où verrons-nous s’épanouir la fleur merveilleuse que nous demandons vainement aux chènevières, aux prairies et aux bois ? Où donc la nostalgique aspiration de l’âme apprendra-t-elle à briser, à faire éclater le moi individuel ? Où