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— L’épicier de Bornel n’a jamais existé. Et tous, autour de lui, de faire chorus :

— C’est un mythe, c’est un mythe !

— Permettez, permettez, leur disais-je. L’épicier de Bornel a vécu !

Et le sous-secrétaire d’Etat de déclarer avec un grand sérieux :

— Nous n’avons pas trouvé trace d’un épicier dans nos cartons.

Cette lacune est très explicable, monsieur le sous-secrétaire d’Etat. Chaque fois qu’un épicier est maire, c’est en cette dernière qualité qu’il correspond avec vos bureaux. Vous n’avez pas connu l’épicier de Bornel ? Le beau mystère ! c’est que pour avoir l’honneur de vous parler, il devenait M. le maire de Bornel. Allez en paix, vous en savez plus que vous ne croyez en savoir… Mais vous, monsieur Bouffandeau, quel intérêt avez-vous à nier l’existence de votre compatriote ? Je vous comprends, je vous excuse. C’est délicatesse du cœur, c’est décence d’un digne fils qui ne veut pas étaler en public la nudité de son père spirituel.

Nous n’avons pas les devoirs de M. Bouffandeau. Profitons-en. Ecartons le manteau de Noé, dévoilons l’épicier. Il s’appelait Nicolas Daix, en son vivant maire de Bornel. Le Journal de Méru et l’Impartial de l’Oise nous le décrivent avec agrément : « Qui n’a connu dans notre région l’épicier-maire ? disent-ils. Qui ne se rappelle ce vieillard actif, bien que marchant assez péniblement, appuyé sur son bâton, le buste incliné de côté, la tête en avant ? Homme très poli, très affable, très empressé, très sociable, voulant contenter tout le monde (chose impossible, ajoute très sagement le Journal de Méru), mais excessivement sensible aux honneurs et se laissant prendre à la flatterie. »

M. Nicolas Daix, bon radical et radical-socialiste, fit voter la désaffectation de l’église de Bornel et rêvait de la démolir. « Mes amis, disait-il à ses administrés, si vous voulez être enterrés à l’église, dépêchez-vous de mourir, car on va bientôt la jeter bas. » Ce qui était encore la façon la plus radicale d’en empêcher le classement.

Le pauvre M. Daix est mort. Avant l’église ! Paix à ses cendres., Mais vous, Bouffandeau, qui, Dieu merci, êtes bien vivant, pourquoi vous faire le champion d’une cause détestable ? Vous valez mieux que cela.