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LA CULTURE MORALE À L’ÉCOLE
DU VILLAGE

Nous avons déjà suivi la vocation du petit paysan gascon à l’école du village[1]. Nous y revenons aujourd’hui pour nous occuper de sa culture morale, et ce n’est pas d’ailleurs sans quelque hésitation. La question est complexe, difficile, surtout délicate avec des points sensibles, même brûlans.

Dans le soulèvement royaliste de l’an VII, qui troubla profondément la Gascogne, un village, sur les confins de la Haute-Garonne et du Gers, fut le théâtre d’une sanglante échauffourée. D’après une tradition, au moment où, par des rues opposées, les deux troupes ennemies débouchèrent sur la place, elle était pleine d’enfans qui jouaient. Des deux côtés, le même cri retentit : « Tiratz lus drollés, tiratz lus drollés ! — Eloignez les enfans, éloignez les enfans ! » Les fusils ne partirent que quand tous les joueurs eurent disparu.

Nous n’avons pas su faire ce beau geste de tendresse humaine, et nous nous disputons l’âme de l’enfant au risque de la blesser. Évitons jusqu’à l’apparence d’une exagération. Qui véritablement oserait dire que la sérénité de notre effort éducateur ne s’est pas ressentie du contre-coup de nos divisions et que les générations nouvelles n’en ont reçu nul dommage ?

  1. Voyez la Vocation paysanne et l’école, dans la Revue du 1er juillet 1912.