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trois raisons : pour redresser ton âme en payant ce que tu dois, pour permettre à d’autres de recevoir le bienfait que tu as reçu, pour donner à tous l’exemple d’une bonne action ? » Il est étrange que des hommes, dans une large aisance ou même le luxe d’une fortune brillante, ne songent pas à rembourser la modeste somme à laquelle ils doivent le succès de leur vie. Les sentimens d’ordre, de justice, de délicatesse morale sont également choqués de cet oubli. Pourquoi, sur ce point, nos mœurs ne se modifieraient-elles pas ? Un mouvement d’opinion suffirait, et c’est peut-être une campagne à entreprendre. La partie serait bien près d’être gagnée si dans un dossier le remboursement était regardé comme un titre ; elle le serait tout à fait, si le geste, aux yeux du monde, passait pour élégant. La mode règne aussi sur nos élégances morales.

Chaque fois qu’un enfant du pays acquitterait la dette sacrée, son nom serait inscrit à l’école sur le tableau de l’honneur social. Le maître s’en servirait pour les plus utiles excitations, pour enseigner à l’enfant qu’il naît débiteur, que sa dette s’accroît des bienfaits qu’il reçoit chaque jour, qu’elle est représentée par tous les devoirs dont la morale s’occupe et qu’il faut la payer. Quant à sa créance, représentée par ses droits, il en est suffisamment averti, il la sent impérieuse dans son élan vital, dans chaque battement de son cœur, dans la palpitation profonde de tout son être, avide de vivre, c’est-à-dire de vaincre, de triompher. Voilà pourquoi « cet âge est sans pitié. » La fin de la morale n’est-elle pas de rappeler au créancier qu’il est débiteur et, par-là, de rabattre et d’adoucir sa native violence ? Nous parlerions rarement à l’écolier de ses droits et toujours avec d’infinies précautions. Sur ce point, on peut penser autrement, surtout a priori. Nous restons invariablement soumis à l’observation et à l’expérience. Chaque matin, en nous levant, par méthode et par goût, nous nous disons avec Montaigne : Regardons par terre.


V

Il ne faut pas se dissimuler que la culture morale de l’école se poursuit au milieu d’une ambiance générale qui lui est contraire. Les moyens de communication se sont multipliés à l’infini, l’influence de la ville pénètre dans les campagnes les plus