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souhait. Dans la guerre de l’indépendance américaine, une période de ce genre avait commencé. Les armées de Washington et de Rochambeau, encombrées de leurs chariots, caissons et bagages, avaient à passer des rivières, traverser des régions montueuses, suivre des pistes défoncées par les pluies : le moindre effort sérieux contre elles eût été fatal ; rien ne fut tenté. Il était de la plus grande importance que Clinton ne comprît que le plus tard possible le plan réel des alliés ; tout servit à le tromper, ses dispositions naturelles et les circonstances. Sa conviction inébranlable était que la clef de la situation était New York, et que le pouvoir royal en Amérique, — et lui-même Henry Clinton, — tiendrait ou tomberait avec cette cité. De là son peu d’inclination à la quitter et à essayer quoi que ce fût en dehors de ses lignes de défense. Ses instructions lui prescrivaient d’aider Cornwallis dans la plus large mesure, le plan de la Cour britannique étant de ressaisir d’abord les Etats du Sud, puis de continuer la conquête en remontant vers le Nord. Mais lui, au contraire, ne se lassait pas d’enjoindre à Cornwallis de lui renvoyer une partie de ses troupes. Et, s’il ne manquait pas d’ajouter, comme il ne cessa de le rappeler par la suite : « Dans le cas du moins où vous pourriez vous en passer, » il lui disait aussi, dans les mêmes lettres : « Je n’aurais jamais cru, je l’avoue, qu’il vous faudrait quatre mille hommes pour un point où, d’après ce que le général Arnold m’a dit, sur un rapport du colonel Simcoe, deux mille seraient amplement suffisans. » (8 juillet 1781.)

Une source de lumières et, comme l’événement le prouva, de ténèbres aussi, consistait dans les lettres interceptées. Ces captures étaient incessantes sur terre et sur mer, et on en était, des deux parts, constamment éclairé ou égaré. Mais la chance avait décidément tourné et les astres favorisaient les alliés. Ils capturaient des lettres utiles et Clinton de trompeuses, juste châtiment pour tout le mal qu’il avait si souvent tâché de faire avec de telles prises : comme lorsque, ayant mis la main sur une lettre intime de Washington, dont un passage pouvait donner ombrage à Rochambeau, il la publia dans les gazettes. Mais les deux commandans n’étaient pas gens à se laisser brouiller pour si peu et tout ce qui se produisit fut une franche explication. Agissant spontanément dans le même esprit, tant était réelle l’unité de vues et de sentimens, La Luzerne avait