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préséance, l’évêque de Nantes l’a même appelé en duel ! — Un peu plus tard, « le prélat parut à deux heures après midi, la soutane retroussée sous le bras gauche, et l’épée nue à la main droite, jurant comme un soldat aux gardes. » Encore une sotte aventure. Ce pauvre braque de Sévigné avait vraiment pour ces hasards-là une désastreuse affinité. Il écrit à M. de Pomponne qu’on a entrepris de le faire passer pour fou : « qu’on a voulu très méchamment m’imposer une extravagance pour me tourner en ridicule. » Mais Sévigné n’était plus à un ridicule près : on lui en avait déjà bien passé ; on s’y accoutumerait, chez lui, comme à un tic habituel. Il continuait pendant plusieurs années encore à faire la navette entre « sa Bretagne » (comme dit Mme de Coulanges) et sa pieuse femme ; et puis, l’âge aidant, lui aussi renoncera au monde pour se fixer au faubourg Saint-Jacques. La marquise y est finalement « fort joliment logée ; » Emmanuel de Coulanges, en allant lui rendre visite un jour, pendant l’été de 1703, l’y trouve « en très parfaite santé, Mlle de Grignan et le Père Gaffarel avec elle, charmée de la vie qu’elle mène ; bien des prières, bien des lectures, et une société de personnes qui sont tout occupées de l’Eternité, indifférentes pour les nouvelles du monde, peu sensibles à tout ce qui se passe. »

Ce sont presque les dernières nouvelles que nous ayons des Sévigné. Nous savons que l’esprit vif et pétillant du marquis continuait à s’agiter, sans grand profit pour qui que ce soit. — Ce gentil Sévigné, en suivant la courbe des années, deviendra, de plus en plus, le type du vieux retraité qui se passionne pour des questions saugrenues. Lorsque, en 1711, la publication de l’Iliade de Mme Dacier ranima la querelle des Anciens et des Modernes, le marquis de Sévigné s’élança, bride abattue, dans la mêlée, pour briser une lance en l’honneur de Corneille et de Racine : il y trouva (tout mince et jeunet à ses côtés, comme un page) certain jeune homme qui lui ressembla par plus d’un trait, le charmant, le maniéré Marivaux : Sévigné, du reste, se montra un champion redoutable s’il faut en croire l’introduction aux lettres (apocryphes) que Ninon de l’Enclos était censée lui avoir adressées, — lettres qui virent le jour vers le milieu du XVIIIe siècle : « Le marquis de Sévigné a fait ses preuves (dit l’auteur) dans la dispute littéraire qu’il eut avec M. Dacier : l’enjouement et la fine ironie y règnent. » Mais de