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Compagnons, réformez-vous ! Ce que vous faites gravement, faites en sorte que le public ne puisse le voir qu’avec gravité.


Chose étonnante : les ouvriers, au moins les plus raisonnables d’entre eux, furent fiers et joyeux d’entendre ce langage parlé par un ouvrier : « Ils furent grands, immenses, s’écrie le garçon maçon Léonard, les services que notre camarade Avignonnais-la-Vertu rendit à notre classe : ses livres sur le compagnonnage ont immortalisé son nom et lui valurent les éloges de la plupart de nos grands écrivains. Il inspira à George Sand son roman sur le compagnonnage ; Chateaubriand demanda à le voir. »

Mais ce n’est pas seulement le peuple qu’avertit Perdiguier ; il se retourne vers le gouvernement, et il l’apostrophe :


Pourquoi emprisonnez-vous de la sorte, gouvernans, magistrats, des hommes qui demandent à vivre par le travail ?… Ayez souci de ces hommes qui sont vos frères, qui se livrent à d’utiles labeurs, et dont la chétive existence forme la base, la réalité des existences plus heureuses…

… Faisons une société plus juste, plus belle, plus heureuse… Soyons chrétiens, non seulement de nom, mais en réalité… faisons descendre un avant-goût du paradis sur la terre… Pensez au peuple ; pensez aux travailleurs… Gouvernans ! ne gouvernez plus pour vous, mais pour eux, en vue d’assurer leur bien-être ; et vous ne verrez plus de guerres civiles, de révolutions ; et vous, comme nous, vous vivrez dans la paix, la sécurité, vous serez plus calmes, plus heureux au sein de vos familles ; les nuages de l’avenir se dissiperont, les cœurs seront plus sereins, et, du haut de son trône éternel, Dieu bénira tous ses enfans…

Respectez, respectons la liberté dans l’homme !… Mais, pensons-y ! il faut un idéal, une morale, des principes fondamentaux, une base solide, et la terre et les cieux à la société future… L’édifice de l’avenir ne sera pas l’œuvre d’un seul, mais l’œuvre de tous : chacun devra y apporter sa pierre, sa truellée de vérité, sa part de labeur et de bien…


Puis, tout à coup : « O mon Dieu ! s’écrie le naïf auteur, comme je me suis éloigné de mon sujet ! J’y retourne. » Mais il ne s’en est pas éloigné autant qu’il le croit, et nous, en tout cas, il nous a conduits au cœur du nôtre. En effet, bien que les Mémoires d’un Compagnon n’aient été publiés qu’en 1855, ce sont là, à n’en pas douter, des sentimens des années « quarante » qui, pour une part, et pour la meilleure part, ont contribué à former « l’homme de 1848. » Recommandables, certes, comme l’est toujours « la vertu, » qu’Agricol avait choisie pour surnom ; et s’il y entrait un grain d’utopie, cela même est très caractéristique ; cela même sera essentiellement de 1848 ; cela