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précisèment se proposer comme objet « les réformes sociales » et comme moyen « la réforme politique, » c’est l’affaire de Louis Blanc, bien plus encore que celle d’Arago. Si l’on ne peut pas dire que l’idée lui appartienne, puisqu’on sait d’où elle vient et que, de Saint-Simon et de Fourier, d’autres l’ont reçue ou reprise avant lui, c’est bien lui néanmoins qui la recueille, la nourrit, l’habille de sa phrase comme d’une robe éclatante ; c’est lui qui la met en pleine lumière, la campe sur la scène, et, qui, pour parler vulgairement, lui fait un sort. À ce moment (1839-1840), et depuis plusieurs années, « Louis Blanc est une des notabilités du parti républicain. » Déjà rédacteur du journal le Monde et fondateur de la Revue du progrès, il est jeune encore, mais, Henri Heine le reconnaît, « dans son raisonnement domine une modération qu’on ne trouve d’ordinaire que chez les vieillards. » Et c’est, parmi les aigreurs des Lettres à la Gazette d’Augsbourg, une onction ; mais l’huile ne coule pas longtemps. Voyez plutôt cette eau-forte : 6 novembre 1840. La publication de l’Histoire de Dix Ans vient de commencer ; le livre excite la curiosité générale et on en discute partout.


L’auteur, M. Louis Blanc, est un homme encore jeune, de trente ans tout au plus, quoique, d’après son extérieur, il semble un petit garçon de treize ans. En effet, sa taille on ne peut plus minime, sa petite figure fraîche et imberbe, ainsi que sa voix claire et fluette qui parait n’être pas encore formée, lui donnent l’air d’un gentil petit garçon échappé à peine de la troisième classe d’un collège et portant encore l’habit de sa première communion…

Né d’une mère corse et, par le sang, cousin des Pozzo di Borgo, par l’esprit Louis Blanc est avant tout parent de Jean-Jacques Rousseau dont les œuvres forment le point de départ de toute sa manière de penser et d’écrire. Sa prose chaleureuse, nette et sentimentale, rappelle Jean-Jacques, le premier père de l’Église de la Révolution.

L’Organisation du travail est un écrit de Louis Blanc qui attira déjà sur lui, il y a quelque temps, l’attention publique. Chaque ligne de cet opuscule dénote, sinon un savoir profond, du moins une ardente sympathie pour les souffrances du peuple ; il s’y manifeste en même temps la plus grande prédilection pour l’autorité absolue, et une profonde aversion pour tout individualisme éminent, aversion qui pourrait bien avoir sa source cachée dans une jalousie contre toute supériorité d’esprit et même de corps ; oui, on dit que le petit bonhomme jalouse même ceux qui sont d’une taille qui dépasse la sienne.


La plaisanterie se poursuit un peu trop sur ce thème d’ailleurs un peu trop commode : la petite taille de Louis Blanc-Henri Heine la tourne, la retourne, et l’use à force d’en user.