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les Aïeules. Pourquoi ? Il a écrit le Songe de l’Amour. Il venait aussi de donner le poème légendaire de Berthe aux grands pieds : et, délaissant une poésie où l’on cache le sentiment sous des emblèmes et où l’on fait allusion seulement à son émoi, il cédait aux attraits plus vifs de la poésie personnelle, et des aveux et des épanchemens. Il renonçait alors à se dissimuler ; et il renonçait à la diversion des récits où l’on donne le change à soi-même ; il renonçait à sortir aucunement de la geôle voluptueuse qui enfermait son rêve et lui, tous deux…


Et mon rêve frileux ne quitte plus la chambre.


Le songe de l’amour, et non l’amour : il y a, dans la nuance des mots, une intention jolie. Substituer à l’amour le songe de l’amour, c’est la volonté d’une sorte de frissonnante pudeur, qui habille de quelque mystère le sentiment et lui confère une grâce décente. Les silences ajoutent aux paroles de pénétrantes significations…


Je ne demande rien ; je sens qu’elle a compris
Tout l’aveu qu’en mon cœur si tristement je porte ;
Elle sait que ma main tremble à toucher sa porte,
Comme tremble mon âme aux choses que j’écris.


Ce sont des vers tremblans d’une timidité qui, au surplus, a des éveils de bel entrain. Ce sont des vers tremblans de véritable amour ; et la timidité est à l’égard de la bien-aimée : elle est aussi, de la part de l’amant, la crainte de l’amour, le scrupule d’une imprudence, une excuse adressée au songe, si l’on est sur le point de quitter pour la réalité le doux songe, comme fait le poète de l’amour.

Il a quitté le songe ; et le voici sur le Chemin de l’oubli. Le premier poème était, en quelque sorte, avant l’amour ; celui-ci est après l’amour. Et, l’amour, qu’en a-t-il fait ? l’a-t-il perdu ?… L’amour est déjà dans ses pressentimens et il est encore dans son souvenir ; car le souvenir traîne sur le chemin de l’oubli. Mais le poète qui a choisi, pour ses poèmes, le thème des pressentimens et le thème du souvenir indique, de ce fait, son goût d’un clair-obscur où apparaissent les lueurs de l’aube et où le soir prolonge les lumières mourantes du jour. S’il a vécu le violent après-midi, l’on doit comprendre, à sa manière de l’éluder, qu’il en redoute le dur éclat. Cette délicatesse a beaucoup d’agrément, cette délicatesse qui est une modestie du cœur.

Le pressentiment et l’oubli, la première et puis la dernière étape d’un amour, dissemblables, ont aussi leur analogie, quand l’amoureux a, plus d’une fois, attendu son bonheur et l’a vu s’anéantir. Les