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rubrique des faits divers ; et nous en trouvons de plus belles, et de plus simples encore, quand revient chaque année la liste des prix Montyon. Mais ici, la connaissance des sentimens profonds du cœur humain est si sûre, la puissance d’évocation est si exceptionnelle, l’art de replacer le lecteur dans une collectivité, où les émotions se décuplent de toutes les émotions voisines, est si habile, que nous sommes autrement remués. C’est encore le cœur qui fournit à De Amicis la meilleure de ses ressources : il raconte qu’il lui est arrivé plus d’une fois de pleurer en écrivant son livre.

Elle vient du cœur, enfin, la poésie discrète qui n’est pas un des moindres charmes de l’œuvre. Plus d’une silhouette est finement dessinée, comme celle du vieil instituteur qui se divertit à revoir les compositions de ses anciens élèves ; plus d’un croquis d’ensemble est lestement enlevé, ébats des écoliers dans une cour, désordre d’une rentrée, tumulte d’une sortie, cortèges ou fêtes. Mais les traits du dessin et le groupement des couleurs ne veulent jamais faire effet pour eux-mêmes ; ils serviront à donner plus de vraisemblance au récit d’une bonne action, à illustrer un exemple de générosité ou d’héroïsme. Le pittoresque qui nous est ici montré est celui des humbles ; son rôle est d’orner le sentiment. Cette subordination est rare, et vaut qu’on l’apprécie. — Un ramoneur, tout noir de suie, pleure à chaudes larmes : il a perdu les trente sous qu’il avait gagnés, et qu’il devait rapporter à son maître. Voici que des fillettes sortent d’une école voisine et s’intéressent à son désespoir ; elles font une collecte en sa faveur. C’est un tableau charmant, que ce petit garçon tout noir, au milieu des couleurs bariolées et mouvantes des robes des petites filles. Les plus jeunes, qui n’ont pas d’argent, veulent lui donner au moins des fleurs. Tout d’un coup la directrice apparaît : les écolières se sauvent comme une bande de moineaux. « Et alors on vit le petit ramoneur, seul au milieu de la rue, qui s’essuyait les yeux, tout content, avec ses mains pleines de sous ; et dans les boutonnières de sa veste, dans ses poches, à son chapeau, il avait des fleurs ; et il y avait des fleurs par terre, a ses pieds.… » Ceci est vu avec des yeux d’artiste : et pourtant, l’effet cherché est avant tout moral.

Cette poésie, peu à peu, enveloppe l’école tout entière, et la transfigure. L’école devient la ruche active dont le travail semble joie ; l’école est le rendez-vous d’une humanité jeune et fraîche,