Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/889

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que le feu fumeux de ma ferme l’est de l’étoile du matin,

Quand cette belle vierge sur le sein du soleil pose sa tête illuminée,

Puisse ton père tout en haut te voir pour l’éternité à cette place qui t’a été réservée !

Vive Dieu si où passe ce petit enfant le père ne passe aussi !

De quel prix est le monde auprès de la vie ? et de quel prix la vie, sinon pour la donner ?

Et pourquoi se tourmenter lorsqu’il est si simple d’obéir ?

C’est pourquoi Violaine aussitôt toute prompte suit la main qui prend la sienne.

PIERRE DE CRAON. — O père ! C’est moi le dernier qui l’ai tenue dans mes bras, car elle se confiait en Pierre de Craon, sachant qu’il n’y a plus désir en son cœur de la chair.

Et le jeune corps de ce frère divin était entre mes bras comme un arbre coupé qui penche !

Déjà comme l’ardente couleur de la fleur de grenade de tous côtés se fait voir sous le bourgeon qui ne la peut plus enclore,

La splendeur de l’ange qui ne sait point la mort s’emparait de notre petite sœur,

Et l’odeur du paradis entre mes bras s’exhalait de ce tabernacle brisé.

JACQUES HURY. — O Violaine ! ô cruelle Violaine ! désir de mon âme, tu m’as trahi !

O détestable jardin ! ô amour inutile et méconnu ! jardin à la maie heure planté !

Douce Violaine ! Perfide Violaine ! ô silence et profondeur de la femme !

Êtes-vous donc tout à fait partie, mon âme ?

M’ayant trompé, elle s’en va ; et m’ayant détrompé, avec des paroles mortelles et douces,

Elle part, et moi, avec ce trait empoisonné, il va falloir que je vive et continue ! comme la bête qu’on prend par les cornes, lui tirant la tête de la crèche,

Comme le cheval qu’au soir on détache du palonnier en lui frappant sur la croupe !

O bœuf, c’est toi qui marches le premier, mais nous ne formons qu’un attelage à nous deux. Que le sillon soit fait seulement, c’est tout ce qu’on demande de nous.