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Qu’il jouait tout enfant dans un jardin fermé,
Près du jet d’eau fluet des bassins de porphyre ;
Qu’à l’ombre d’un figuier, il apprenait à lire…
— Et moi, j’appris ainsi, Poète, à vous aimer
À travers le passé, le soleil et la myrrhe !

Je connais aujourd’hui l’écolier studieux
Découvrant le Platon, ravi par l’Odyssée
Car déjà, vous pliant à rythmer la pensée,
De cet amour du Beau qu’élaborent les dieux,
Vous sentîtes votre âme obscurément blessée !

Des vers inachevés comme votre destin
Tombaient de votre plume en cadences soudaines ;
Aux amis préférés, Pange, Fondat, Trudaine,
Vous les lisiez, parfois, — ce furent, incertains,
De naissans papillons essayant leurs antennes…

Plus tard, j’ai rencontré le pèlerin fervent
Que possède sans doute une belle folie
Le long des clairs chemins de Suisse et d’Italie ;
Vous alliez, tête haute et les cheveux au vent…
Je vous faisais le don de ma mélancolie !

Avec vous, j’ai compté les étoiles au ciel
Et les flots alanguis du golfe de Sorrente ;
Sur l’horizon passaient quelques barques errantes…
Des femmes à la taille souple, au teint de miel,
Vous offraient en riant leurs fiasques odorantes.

Vous aimiez faire halte aux margelles des puits,
Cueillir ces fruits plus doux que la mangue des îles ;
Dans la paix qui s’allonge au pied des campaniles,
Il vous plaisait rêver les lumineuses nuits
Et les tendres matins de Crète et de Sicile…

Puis vous avez quitté l’Italie, et les yeux
Charmés, et le parler musical de ses filles,
Pour les yeux de la « fille d’Arno, » pour Camille,
Pour la pure Fanny des soirs harmonieux
Que Versailles abrita sous de molles charmilles ;