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jour, la Chambre, dans une séance du matin où on a constaté que, du minimum au maximum, les membres présens se sont élevés du chiffre de sept à celui de douze. Les journaux s’en indignent : quant à nous, nous féliciterions plutôt la Chambre de ne pas se prêter davantage à ce qu’elle sait bien n’être qu’une comédie. La législature est terminée ; il n’y a de sérieux que les élections prochaines et c’est la seule chose à laquelle pensent députés et gouvernement. Les députés le montrent en ne s’occupant que de leurs affaires, et le gouvernement en bornant son activité à déplacer des préfets. Quelle différence entre M. Klotz et M. Renoult ! L’un, en huit mois de ministère, n’a pas touché à un seul préfet, l’autre, en quinze jours, a multiplié entre eux des mouvemens précipités qui témoignent d’intentions très fermes, déjà en partie réalisées. Toute la politique du gouvernement consiste à bercer, à endormir le Parlement avec des mots et à prendre fortement en main les rênes de l’administration politique. Encore un coup de fouet à donner au pays pour franchir victorieusement la période électorale qui va s’ouvrir : après, on verra.

Cependant, il y a une quinzaine de jours, M. Caillaux est allé prononcer un discours à Mamers, chef-lieu de sa circonscription électorale. Ce discours avait été annoncé par la presse, on l’attendait avec curiosité, avec impatience, comme s’il devait contenir l’Évangile des temps nouveaux. Cette fois encore, la déception a été complète. M. Caillaux n’a rien dit qu’il n’eût répété déjà plusieurs fois et la seule partie vraiment originale de sa harangue est celle où il s’est modestement comparé à Mirabeau, non pas encore comme orateur, mais comme victime de la réaction. « Dans tous les pays, dans tous les âges, a écrit Mirabeau, les aristocrates ont implacablement poursuivi les amis du peuple. Et si, je ne sais par quelle combinaison secrète de la fortune, il s’en est trouvé quelqu’un dans leur sein, c’est celui-là surtout qu’ils ont frappé, avides qu’ils étaient d’inspirer la terreur par le choix de la victime. » M. Caillaux s’est arrêté là ; il aurait pu continuer la citation en disant : « Ainsi périt le dernier des Gracques, de la main des patriciens, etc., etc. » Mais les souvenirs classiques n’ont pas sur nos contemporains la même prise que sur ceux de Mirabeau. Nous ne savons pas ce que l’avenir réserve à M. Caillaux, ni s’il périra comme le dernier des Gracques ; mais il est un peu tôt de sa part pour se poser en victime, lui aristocrate, des autres aristocrates. Et de quels aristocrates, s’il vous plaît ? Ceux auxquels il a fait allusion sont ceux de la finance. M. Caillaux n’était pas précisément né parmi eux, mais la seule vengeance qu’ils aient jusqu’à présent