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pas fâchée à propos de l’inconséquence que je remarquais dans les concepts et dans les actions de ce pauvre Stein ! Eh bien ! quand on ouvrit sa tête après sa mort, on trouva un os qui lui avait poussé dans le cerveau. » Cette anomalie, qu’on expliqua par un accident de cheval au temps de sa jeunesse, fut peut-être en effet le grain de sable de Cromwell, le rien décisif qui, s’opposant au bonheur conjugal entier de Charlotte, prépara l’un des plus décisifs épisodes de l’histoire morale contemporaine.

Quant à Gœthe, qui demeura toujours en relations sincèrement cordiales avec Josias de Stein, ainsi que nous l’avons indiqué, il a résumé son impression sur le grand écuyer dans son journal intime, dès 1777, alors, il est vrai, que leur amitié n’était pas encore d’ancienne date : « Bonté de Stein. Se garder de pareils hommes. Bons à voir, mais rarement : ils vous entraîneraient dans une pauvre et étroite manière de sentir. » Jugement qui concorde fort bien avec celui de Charlotte. — Au total, un brave gentilhomme terrien associé par les jeux de l’amour et du hasard à une intellectuelle de nature plus fine et de sensibilité plus exigeante, tel fut Stein. Et si Charlotte ne finit pas comme Mme Bovary, du moins a-t-elle connu sans doute, dès la première génération romantique, quelques-uns des états d’âme qui tourmentèrent plus tard l’héroïne de la quatrième génération de ce grand mouvement sentimental. Une incompatibilité d’intelligence et de culture plus encore que de caractère, tel est le ver rongeur qui mina rapidement la félicité conjugale de la jeune baronne, alors que son avenir semblait si favorablement préparé par le sort.

Elle débuta d’ailleurs dans la vie de ménage par sept maternités consécutives qui lui donnèrent, en neuf ans, quatre filles, toutes mortes quelques jours seulement après leur naissance et trois fils, qui vécurent, Charles, Ernest et Fritz. Sa santé ne résista pas à ces fatigues sans répit. En 1773 et 1774, elle dut se rendre aux eaux de Pyrmont pour y retrouver des forces et c’est de ce moment que sa physionomie morale va se préciser quelque peu sous notre regard. Elle se créa en effet dans cette ville balnéaire quelques amitiés de marque, en particulier celle de la princesse héritière de Brunswick, une épouse insatisfaite elle aussi, et avec de plus justes sujets de plainte. Cette jeune femme goûta si fort la société de Charlotte qu’elle voulut se charger de l’éducation de son fils aîné par la suite. Mais surtout