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admet toutefois qu’à dater du printemps 1781, Charlotte « autorisa les tendres caresses et les douces privautés. » Il ne faudrait donc pas le pousser beaucoup pour lui faire dire que le poète eut dès lors licence de lutiner, de chiffonner à l’occasion son amie. A tout le moins lui aurait-elle à cette heure avoué son amour, sans mettre dans cette confession les mêmes réticences que par le passé.

Quant à nous, nous appliquerions volontiers aux relations de nos amoureux un passage des célèbres Confidences d’une belle âme, qui figurent dans les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister : « Nous étions, Narcisse et moi, écrit la Belle Ame, d’avis fort différens sur les bornes de la vertu et de la convenance. Je ne voulais rien hasarder et ne permettais d’autres libertés que celles dont le monde entier aurait pu être informé au besoin. Pour lui, accoutumé aux friandises, il trouvait fort sévère la diète que je lui imposais, et, de ce désaccord, naissaient des contestations perpétuelles entre nous. Narcisse louait ma conduite et n’en cherchait pas moins à ébranler ma résolution... Je ne remarquais pas que je souhaitais et recherchais la chose même qui me rendait inquiète. » Mais la Belle Ame ne cède pas à Narcisse et sans doute en alla-t-il de même entre les amoureux de Weimar.

Il est vrai qu’un autre reproche se présentera dans tous les cas à la pensée du moraliste sévère et c’est celui sur lequel insiste le professeur Engel, tout en délivrant à Charlotte un brevet de fidélité conjugale au sens strict de ce mot. N’a-t-elle pas, dit-il, tout donné à l’ami, excepté sa personne et par là commis l’adultère du cœur, sans avoir eu du moins la franchise de son impulsion passionnelle comme Christiane Vulpius, qui sacrifia sa réputation à son amour ?... Tout en reconnaissant volontiers ce qu’il y a de fondé dans une pareille critique, on pourrait du moins excuser en partie Charlotte par les mœurs sentimentales que l’influence du roman anglais, puis celle de Rousseau, avaient introduites en Allemagne vers le milieu du XVIIIe siècle. On rappellerait à sa décharge cette correspondance bien connue que Gœthe entama de Francfort avec une jeune fille de la haute aristocratie qu’il ne devait jamais connaître de vue, sa vie durant, avec l’aimable Auguste de Stolberg. Qu’on parcoure ces lettres, purement amicales à coup sûr, et l’en se rendra mieux compte de ce que permettait, en toute honnêteté, l’exaltation