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Il faut ici, résumant en quelques pages une vie tumultueuse, dire ce que le nom évoquait.

C’était un Champenois, d’une race paysanne très récemment arrachée à la terre ; le père avait été huissier, puis procureur à Arcis-sur-Aube où était né Georges-Jacques Danton, le 26 octobre 1759. Et lui-même, à vingt ans, avait quitté sa petite ville pour chercher, dans la basoche, sa vie à Paris. Et, clerc chez le procureur, après sept années d’une existence précaire, il avait, en épousant la fille du limonadier Charpentier, trouvé avec une charmante femme une petite fortune et un suffisant crédit pour acheter un office d’avocat ès conseils, équivalant à peu près à la charge d’un de nos avocats au Conseil d’Etat. Et « Monsieur d’Anton, » ainsi qu’il signait, était venu installer son cabinet (plus achalandé qu’on ne l’a dit) dans une maison de la Cour du Commerce, entre la rue Saint-André des Arts et la rue des Cordeliers, sans se douter certes qu’un jour, sur l’emplacement de cette maison détruite, s’élèverait la statue destinée à perpétuer son souvenir.

C’est que s’il était alors ambitieux de « faire fortune, » lui-même, je suppose, n’entrevoyait en rien la carrière à la fois si agitée et, quoique courte, si remplie qui le mènerait des clubs révolutionnaires à la Chancellerie, pour le précipiter ensuite aux avatars les plus imprévus, — jusqu’à l’échafaud.

Ce Champenois tout à la fois brutal et madré, truculent et grandiloquent, désordonné et puissant, à la figure mafflue et ravagée, à la taille athlétique et aux épaules larges, aux yeux étincelans sous les sourcils broussailleux, à la bouche épaisse qui, entre deux accès de rire formidable, laissera échapper de si terribles paroles, n’apparaît, en 1787, que comme un bourgeois jouisseur, bon garçon, mari fort amoureux d’une femme fort accorte, organisant sa vie entre un foyer qu’il désire confortable, le café Procope où, le soir, il aime jouer aux dominos avec quelques amis, le Théâtre tout voisin où l’attirent Corneille et Molière, des vacances dans son Val d’Aube, dans sa petite ville qu’il adore, et enfin ses affaires auxquelles il parait s’adonner non sans succès. Dans la Cour du Commerce, « M. d’Anton » est populaire : on dit, en le voyant passer dans son habit bleu : « Voilà cet excellent M. d’Anton ! »

La Révolution a fait jaillir de ce bourgeois un tribun qui sans doute s’ignorait. Il est, le 14 juillet, monté sur les tables