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Chose curieuse, il continue, au milieu du tumulte de la vie publique, à mener l’existence bourgeoise qu’il aime. Il a un appartement confortable, une bibliothèque choisie, un foyer où il aime à recevoir grassement ses amis ; s’il conduit « sa Gabrielle » à Saint-Sulpice pour la messe du dimanche, il ne l’abandonne le soir que pour la partie de dominos du café Procope ; cependant il continue à plaider devant « les conseils de Sa Majesté » dans un style fort convenable, — pour le haut prince de Montbarey par exemple, qui l’honore de son amitié. Il est avec tous « brave homme, » jovial, la plaisanterie un peu grasse et le geste trop familier ; il sait remiser ses foudres. Le bourgeois sans cesse, — et cela durera jusqu’à son dernier jour, — retient le tribun, et quand les grands jours arriveront, il faudra que sans cesse le tribun gourmande le bourgeois pour se pouvoir échapper. Au demeurant, ainsi que l’écrira un ami, « bon fils, bon père, bon époux, bon ami. »

Parfois cependant, il s’arrache à cette vie aisée pour paraître aux clubs, celui des Cordeliers que, tout près de chez lui, il a fondé lui-même, celui des Jacobins où il ne parle jamais sans faire éclater les applaudissemens.il semble néanmoins encore un simple agitateur quand, le 31 janvier 1791, il est, après une série d’échecs, élu membre du Conseil Général du département de Paris. Et alors, on voit se révéler un nouveau Danton. Dans sa lettre d’acceptation, il s’affirme « capable d’allier aux élans du patriotisme bouillant... l’esprit de modération nécessaire pour goûter les fruits d’une heureuse Révolution.. » Il en sera toujours ainsi : toutes les fois que, si peu que ce soit, Danton arrivera à « une place, » on le verra sinon s’assagir, du moins essayer de le faire. Dans le tribun et derrière le bourgeois, un troisième personnage existe : un politique extrêmement réaliste, vrai produit du terroir champenois, infiniment plus avisé que ne le feraient penser les phrases parfois folles qui, dans les clubs, lui valent de frénétiques applaudissemens, et bientôt un homme d’État fort capable d’échapper aux fantasmagories révolutionnaires pour apercevoir les nécessités nationales. Il se proclame prêt à se modérer lorsqu’il entre au « Département : » il se déclarera énergiquement « constitutionnel, » soumis au Roi autant qu’à la loi, quand il sera, l’année suivante, élu substitut du procureur de la Commune ; il sera tel lorsqu’ « un boulet l’aura porté au ministère de la Justice, » lorsque enfin