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Son attitude s’accentuant, il se fait de plus en plus, en juin, en juillet, l’homme de la « seconde Révolution. »

Cette « seconde Révolution, » nous savons qu’elle éclate. Le Dix Août est l’œuvre de Danton. On lui en a contesté le mérite (j’entends parler au point de vue révolutionnaire) ; à l’étudier, on voit au contraire que son rôle y fut plus considérable encore qu’on ne le pense. Je le montrerai ailleurs préparant dans ses moindres détails la journée, organisant le mouvement « sectionnaire » qui, dirigé contre le trône, l’ébranlé, en attendant que, dans la tragique nuit du 9 au 10 août, le Journal de Lucile Desmoulins nous le montre levant, à l’heure dite, son bras musclé comme pour abattre ce trône si savamment sapé.

Certes, il ne marche pas personnellement sur les Tuileries ; mais, après avoir préparé l’attaque du château, il en paralyse la défense : c’est lui en effet qui, à l’Hôtel de Ville, consomme le coup d’Etat municipal ; ce coup d’Etat, substituant à la Commune loyaliste un Conseil insurrectionnel, permet d’arrêter en pleine exécution le plan conçu par le commandant de la Garde nationale, pour plus de sûreté assommé sur les marches de l’Hôtel de Ville.

Sûr alors que le Château est livré, Danton, avec cette singulière insouciance, qui, chez lui, succède aux plus grands efforts, va se coucher cour du Commerce au crépuscule du 10 août.

C’est là qu’à trois heures du matin, Fabre et Desmoulins viennent l’arracher à son pesant sommeil pour lui apprendre qu’il est nommé par l’Assemblée ministre de la Justice avec place prépondérante dans le Conseil Exécutif. « Il faut, ajoute Fabre, grand profiteur, que tu me nommes secrétaire du Sceau... » Et Danton, mal réveillé, répète à plusieurs reprises ; « Vous êtes sûr que je suis ministre ! »

Il ne lui faut pas beaucoup de temps pour s’y habituer. Ce singulier garde des Sceaux se fait, suivant ses termes, plus que le ministre de la Justice, le « ministre de la Révolution. »

Cette Révolution, il la trouve engagée dans une crise terrible : l’Europe nous menace ; si l’Autriche et la Prusse seules sont nos ennemies déclarées, les autres Puissances semblent sur le point de se déclarer à leur tour ; les Autrichiens marchent sur Lille ; le roi de Prusse, franchissant la frontière, va faire capituler Longwy, puis Verdun, forcer les passages d’Argonne. L’armée, désorganisée par l’émigration des officiers et l’indiscipline