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Après avoir si nettement établi la situation, c’est l’appel enflammé à l’énergie : « Que vos commissaires partent à l’instant, qu’ils partent cette nuit et qu’ils disent aux riches : Il faut que vos richesses payent nos efforts ; le peuple n’a que du sang, il le prodigue ; allons, misérables, prodiguez vos richesses... Il faut du caractère. On en a manqué... Je fus dans une position telle que celle-ci dans le moment où l’ennemi était en France. Je disais aux prétendus patriotes : Vos discussions sont nuisibles au succès de la liberté. Vos discussions sont misérables. Je vous rebute tous, vous êtes tous des traîtres. Battons l’ennemi et ensuite nous nous disputerons. Je disais : Eh ! que m’importe, pourvu que la France soit sauvée, que mon nom soit flétri ! J’ai consenti à passer pour un buveur de sang ! Buvons le sang des ennemis de l’humanité, mais enfin que l’Europe soit libre ! » Et après de nouveaux cris d’appel frémissans et comme déchirans : « Remplissez vos destinées, point de passions, point de querelles, suivons la vague de la Liberté ! »

Haché par les applaudissemens des tribunes, le discours s’acheva dans une ovation « universelle, » dit le compte rendu.

C’était du meilleur Danton. Mais il n’avait réclamé de la Nation que de l’or et des soldats ; autour de lui, on voulait autre chose : des fers et le couperet. La Montagne entendait qu’on semât la terreur. Il fallait « un tribunal révolutionnaire. » Du matin au soir, Danton en adopta l’idée. On en fit la proposition ; la Droite pensa l’esquiver : on allait lever la séance à six heures, lorsque Danton se rua à la tribune et, d’une voix retentissante, cria : « Je somme tous les bons citoyens de ne pas quitter leurs postes. » L’accent fut si terrible que chacun resta figé « dans un calme profond. » Quoi, disait-il, quand Dumouriez est peut-être enveloppé, on se séparerait sans avoir pris de grandes mesures contre les ennemis intérieurs qui bravent le peuple... Arrachez-les vous-mêmes à la vengeance populaire. » Le mot évoquait de terribles souvenirs. Une voix cria : « Septembre ! » Alors, il osa excuser les massacres : ils n’eussent pas eu lieu si un tribunal eût existé. Il fallait donc profiter de la leçon. « Soyons terribles pour dispenser le peuple de l’être. » Il demandait l’organisation du Tribunal et un pouvoir exécutif plus fort. Le ton devait être allier, car, de droite, on l’interrompit : « Tu agis comme un roi. — Et toi, riposta-t-il, tu par les comme un lâche. » Il insista, adjura, fut applaudi, enleva le vote, la création