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Le 2 juin était la défaite de ses « ennemis, » mais, par une singulière conséquence, elle était aussi la sienne. Il en avait eu le pressentiment. C’est bien pourquoi il avait, de longs mois, fait tant d’efforts contre son propre tempérament pour éviter le conflit et reculer la catastrophe.


III. — LE COMITÉ DANTON

Le 6 avril, Danton avait été élu par 223 suffrages et le cinquième sur neuf, membre du Comité de salut public. Réélu tel quel le 10 mai et le 10 juin, ce Comité, pouvoir exécutif à neuf têtes, gouvernera donc trois mois la France. Ses membres délibéraient en commun des affaires, mais, pour qu’elles fussent préparées et « suivies, » se devaient partager les parties de l’État. Danton et Barère reçurent, — ou prirent les Affaires étrangères. Mais, Barère s’inclinant volontiers devant les forts, Danton, en fait, domina seul ce département.

Il dominait d’ailleurs le Comité tout entier : avant deux semaines, tous le suivaient, séduits par ses larges vues et cette étonnante capacité d’activité qu’entre deux périodes de paresse, il pouvait soudain faire éclater.

Il reprenait donc ce pouvoir qu’il avait quitté en octobre précédent avec le regret de n’avoir pu que « bâcler. » Pourrait-il faire mieux, d’ailleurs ? Il essaya de formuler un programme de gouvernement : « Je le déclare, dit-il le 10 avril, vous seriez indignes de votre mission, si vous n’aviez constamment devant les yeux ces grands objets : vaincre les ennemis, rétablir l’ordre dans l’intérieur et faire une bonne Constitution. » Il continuait à vouloir, suivant son mot, « fixer » la Révolution.

On était menacé, nous le savons, de tels périls que la situation d’août 1792 devait paraître rétrospectivement à Danton pleine de facilités, comparée à celle d’avril 1793.

Il était trop patriote pour ne pas frémir des périls amoncelés, trop intelligent pour ne pas comprendre quelles leçons ils enfermaient. Dès les premières heures, il s’était remis devant l’échiquier avec Lebrun, son ancien collègue du Conseil qui, resté aux Relations extérieures, rentrait, cette fois officiellement, sous sa tutelle. Cet échiquier, il l’examinait de sang-froid, délivré miraculeusement, devant la carte de l’Europe, de cette frénésie qui semblait parfois l’affoler. Devant les choses