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inspirés. L’inspiration n’est pas très forte, chez la plupart d’entre nous. Elle n’est forte et, par suite, consciente que chez les hommes de génie, les héros, les voyans, les saints. Faute de génie, ou d’héroïsme, ou de « voyance, » ou de sainteté, comment donc nous, à peine inspirés, attraperons-nous la vérité primordiale ? Il nous faut recourir au témoignage des privilégiés. Encore leur divin témoignage ne nous est-il intelligible qu’à l’aide de notre petite inspiration ; mais, attentive, elle suffit à nous faire reconnaître le divin dans le mélange où on le lui révèle.

Prenons garde : les différens systèmes de pensée que les hommes de génie, héros, saints et voyans ont déclarés depuis des siècles ne concordent pas. La polémique des diverses religions et les bisbilles des diverses philosophies sont toute l’histoire intellectuelle de l’humanité. Alors, que deviendrons-nous ?... M. Edouard Schuré ne consent pas que les systèmes de la pensée humaine soient discordans. — Ah ? faisons-nous, avec surprise. Il nous engage à observer (dans la préface des Grands Initiés) que toutes les religions, par exemple, ont deux histoires : l’une extérieure et l’autre intérieure ; l’une apparente et l’autre cachée. L’une contient les dogmes et les mythes qu’on présente au populaire ; et l’autre, la doctrine secrète. Celle-ci, ésotérique, enveloppée dans le symbole des mystères, les seuls Initiés la possèdent ; et ils la réservent à eux. Or, vous dites que les religions ne concordent pas : leurs dogmes et mythes populaires, non. Mais leur idée profonde, ésotérique, est partout la même et constitue la vérité primordiale.

Nous avons fait beaucoup de chemin : nous ne sommes point au bout de la voie obscure et qui mène à la lumière. La doctrine ésotérique, les initiés ne la divulguaient pas. Ce grand bavard de Pausanias qui, voyageant par la Grèce, écrit tout ce qu’il voit, tout ce qu’il sait, se tait subitement lorsqu’il a dépeint de son mieux les dehors du sanctuaire éleusinien : « Quant à ce qu’on voit à l’intérieur du sanctuaire, dit-il, je n’ai pas le droit de le révéler ; les profanes ne doivent pas le connaître et ils n’ont pas la liberté de s’en informer curieusement. » C’est qu’il était, ce Pausanias, quoiqu’un peu sot, l’un des initiés d’Eleusis ; et, pendant le millier d’années que durèrent les révélations circonspectes, il n’y eut pas un seul initié pour trahir l’auguste confidence. Bref, l’anecdote ésotérique, comment la pénétrerons-nous ? Car, dit M. Schuré, « elle se passe dans le fond des temples, dans les confréries secrètes ; et ses drames les plus saisissans se déroulent tout entiers dans l’âme des grands prophètes, qui n’ont confié à aucun