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recourir à l’incomparable érudition généalogique de Casanova pour lui demander de « faire des recherches » sur les origines de sa famille ? « Mes ancêtres sont issus d’une maison italienne. La république de Lucques et celle de Venise ont eu des Opiz, qui se signalèrent... Ayant des correspondans littéraires dans votre patrie, ne pourriez-vous pas me procurer autant de faits historiques qu’il vous sera possible d’en recueillir touchant les Opizi ou Opizo d’Italie ? » Requête d’autant plus dangereuse que l’ignorance de la langue tchèque, souvent avouée et déplorée par Casanova, ne pouvait pas l’empêcher de savoir, tout au moins, le sens du mot tchèque, opiz, — qui signifiait « singe. » Pourtant l’ « ermite de Dux » résiste, cette fois, à la tentation de renseigner son « vénérateur » sur la véritable origine de son nom familial, — sauf à lui montrer, plus tard, qu’il ne l’ignore pas. Mais il n’en inflige pas moins dès maintenant au malheureux Opiz une dure leçon :


La lettre dont vous m’avez honoré le 4 du courant exige que je ne diffère pas à vous répondre, puisqu’il se peut que vous soyez pressé d’avoir cette généalogie de vos ancêtres que votre nom d’Opiz vous fait soupçonner. Voici donc ce que je peux dire là-dessus : Si, pour vous croire descendant des Obizzo, vous n’avez d’autre indice que celui de la ressemblance des mots Opiz et Obizzo, je vous dirai que ce n’est rien, ou que, si c’est quelque chose, ce ne peut être que pour faire rire... Je pense que ce qui vous chimérise sur vos ancêtres ne peut être qu’une affection mélancolique que vous devez dissiper, si vous êtes sage. Au lieu de penser à vos ascendans, je vous conseille de penser à vos descendans, et d’éloigner de vous toute idée vaine ou triste. La véritable noblesse ne dépend que de nous : soyons serviteurs de la vérité et de la justice, et nous serons tous gentilshommes.


A quoi le terrible homme ajoute amicalement cet autre conseil ! « Permettez encore que je vous dise que, pour me plaire dans notre commerce épistolaire, vous n’avez pas besoin de chercher des citations latines ! Ne vous incommodez pas pour cela ; je vous aimerai et estimerai tout de même. Soyons dans ce monde vrais et sincères, et contentons-nous de dépêcher notre propre marchandise, de manière à pouvoir répondre de sa valeur ! »

Ai-je besoin de dire que cette lettre-là comme les précédentes provoque aussitôt, chez J. F. Opiz, des transports d’admiration et de reconnaissance ? Tout au plus notre homme tente -t-il humblement de se justifier des principaux reproches de son « très vénérable » ami. « Ma recherche des origines de ma famille, je vous en assure, n’est