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de Marguerite. Il va s’écarter plus encore de la reine de Navarre par la nature même de sa pensée religieuse. Dans son œuvre, se dessine un retour à ces idées d’ascétisme, de réalisme, dont la mystique des grands siècles chrétiens est pénétrée.

La foi n’est plus seulement pour lui la vie intérieure. Elle se traduit par la pénitence, et la pénitence elle-même par les mortifications. Il a écrit une petite pièce sur cette pensée. « Je fais monter (ô Dieu !) vers toi mes plaintes et mes larmes... j’arrose mon visage de mes pleurs qui coulent et je frappe ma poitrine de mes poings raidis. Oh ! s’il m’était permis de me couvrir de dures étoffes, d’un rugueux cilice, de dompter ma chair par de longs jeûnes et sous le poids de la cendre ! » Voilà bien un accent qui nous rappelle d’autres voix, celles qui jadis promettaient dans les austérités du cloître ces joies suprêmes que Luther n’avait pu trouver dans le sien. Lisons encore une autre de ses hymnes : « La plainte du pécheur. » Cette terreur du jugement, ce besoin d’associer la nature entière à son épouvante et à son deuil, cet appel désespéré de l’homme, non seulement à la clémence de Dieu, mais encore à l’intercession de ses Saints, tout nous ramène ici à la mystique médiévale, et cette peinture d’un contemporain de Marot s’inspire singulièrement du Dies Iræ. — Et enfin, le poète ne se borne pas à adorer : il regarde et il décrit. Le Christ passe devant ses yeux, comme jadis devant ces primitifs, qui le peignaient dans une sorte d’extase. Sa foi s’anime : elle fuse en visions de vie réelle. Veut-il nous parler de la naissance de Jésus ? Il suivra les bergers et les mages, pour se prosterner avec eux dans l’étable. Nous faire comprendre l’Évangile ? Il retracera le cadre des scènes évangéliques, et, dans la première de toutes, la Passion, il cherchera à nous émouvoir, non par des mots, par des sentimens, mais par des images. Il touche la croix de Jésus ; il entend le bruit des clous qu’on enfonce ; il met la main sur les plaies qui saignent. Rien de plus frappant, dans ce petit poème sur la mort du Christ, que cette peinture des détails. Ces scènes empruntées à la Bible abondent dans Maigret. Nous sortons ici des lieux communs et des sentences banales pour entrer dans le concret. Et c’est aussi encore le même souci de peindre, qu’il apportera dans sa notion de l’invisible. Il y a de lui une petite pièce sur l’Assomption qu’on dirait presque inspirée par une fresque de l’Angelico. On comprend qu’un tel homme soit sensible à la