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Eglise. Avec eux va apparaître le christianisme individuel, ou, pour mieux dire, le rationalisme religieux.

Cette conception nette, il ne faut point la chercher dans Marot. Poète futile et charmant, le protégé de Marguerite est bien le produit d’une cour frivole et volage, où l’amour délasse de la guerre, où les lettres divertissent de l’intrigue. Sa vie même est une aventure. A vingt-trois ans, il va se battre, et se fera prendre à Pavie. Attaché au Roi, en 1527, comme valet de chambre, il n’en est pas devenu un homme d’ordre. Il tâtera de la prison, et sera de nouveau poursuivi en 1532 ; en 1534, il n’échappera peut-être au bûcher que par l’exil. Sa fin sera triste, presque tragique. D’ailleurs, poète toujours, poète partout, par vocation, par profession, par amusement ; seule unité qui fixe un peu cette vie errante dans ses sentimens comme sa destinée. A-t-il étudié ? Il s’est frotté aux lettres sans les apprendre, ce qui le préserve du pédantisme, et, s’il se rattache à un maître, c’est beaucoup plus à Villon qu’à Martial, au moyen âge français et gaulois, qu’à la Renaissance. A-t-il aimé ? On lui a prêté des galanteries illustres : on ne lui connaît point de liaison durable. Ses passions furent surtout des sensations. Homme de plaisir, de langage, de mœurs faciles, Marot est en marge de l’amour. Ne demandons donc point à cet étourdi de grands sujets. Il ne se concentre point, il se disperse. Sa plume alerte ne triomphe que dans l’épître ou l’épigramme. Elle sera aussi à l’aise dans la poésie sacrée que dans les vers érotiques, passant, comme en se jouant, du crucifix au temple de Cupidon, des Psaumes à Ovide. Marot badine, il voltige, il s’amuse comme il amuse. Son inspiration se déroule en arabesques ; son émotion, et il en a parfois, s’esquive dans une boutade. Cet incomparable épistolier a trop d’esprit pour être profond : il restera toujours à fleur d’âme. Lui-même s’est comparé, dans le printemps de sa jeunesse, à « l’hirondelle qui vole... puis çà, puis là. » Tout au plus est-il la libellule qui ne se pose sur rien, ne se fixe sur rien, emportée au souffle des événemens ou à l’imprévu de son caprice. A ce jeu on se brûle toujours quelque peu les ailes. Le poète y a laissé le sérieux de sa muse comme la tranquillité de sa vie.

Il ne faut point oublier ces traits si on veut juger la pensée religieuse de Marot, ni encore, que ce poète des courtisans fut le plus courtisan des poètes. Il n’écrit point seulement par plaisir,