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par aveugle affection à l’égard de son illustre fils, même après qu’elle eut fait la connaissance personnelle de Christiane : le petit-fils fit agréer la bru de la main gauche dans la vieille maison du Hirschgraben. — En outre, lorsque Goethe perdit sa mère en 1808, il envoya sa femme à Francfort pour y régler les questions d’intérêt dont il voulait éviter le souci. A cette occasion, un parent du poète qui eut affaire avec Christiane a vanté son attitude libérale et digne. Mais ce témoin souligne, lui aussi, la vulgarité de sa personne. La comtesse Reinhardt, une patricienne de Hambourg, lui accordait quelque dextérité comme ménagère, mais la comparait, dans sa culture et dans ses manières, à une camériste de bonne maison, ce qui n’est qu’à demi flatteur, on en conviendra. Enfin elle fut accueillie, choyée et prônée par Mme et Mlle Schopenhauer, mère et sœur du philosophe bien connu. Mais ces deux dames, arrivées à Weimar dans le temps même où Goethe épousait enfin sa compagne, ne mirent guère, dans leur bienveillance affichée pour celle-ci, qu’un calcul intéressé ; elles souhaitaient d’attirer par là dans leur salon l’homme illustre. Nouvelles venues dans le pays, sans attaches avec la société aristocratique du lieu, elles pouvaient plus facilement que personne adopter cette attitude protectrice à l’égard de Christiane. Gœthe leur en sut gré en effet, et c’est pourquoi la baronne de Gœthe trouva chez les Schopenhauer la seule maison honorable qui se soit jamais franchement ouverte devant elle.

En revanche, que de témoignages hostiles ou dénigrans dont, avec la meilleure volonté du monde, il est bien difficile d’oublier la précision accablante. Celui de Schiller avant tout, si familier dans la maison du Frauenplan : « Gœthe écrit trop peu maintenant, dit-il à Kœrner, le 6 août 1800, c’est-à-dire après six ans d’intimité presque quotidienne avec son illustre émule... Son esprit n’est pas assez tranquille. Sa misérable situation domestique qu’il n’ose point modifier, tant il est faible sur ce point, le remplit d’amertume ! » Et Kœrner de répondre avec conviction : « On n’offense point les mœurs impunément. Il aurait pu trouver dans sa jeunesse une épouse digne de lui. Combien son existence serait aujourd’hui différente ! Le sexe féminin a une mission beaucoup trop haute pour se voir ainsi dégradé, réduit au rôle d’instrument de plaisir... Gœthe lui-même ne peut estimer la créature qui s’est d’abord donnée à