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à Fritz. Je me retrouve peu à peu moi-même auprès d’elle[1] ! »

Le major de Knebel, qui fut le premier ami de Gœthe dans l’entourage du duc de Weimar et dont nous avons déjà parlé plus d’une fois, professait pour Mme de Stein une vénération toute particulière. M. Bode vient, nous l’avons dit, d’imprimer une partie de leur correspondance dans sa publication périodique, Stunden mit Gœthe[2], et cette correspondance de vieillesse est charmante : « On me dit que Gœthe est de très bonne humeur, écrit Charlotte en avril 1810. Cela me réjouit. Je voudrais qu’il vécût cent ans et me fit dire de temps à autre un souvenir de la terre quand je serai avant lui dans les Champs Elysées... Vous êtes, dites-vous, sur la voie de la foi ? Il est bien que cela vous vienne avant l’âge. Pour moi, c’est le contraire. Je n’ai plus de foi, mais de la résignation, et je vis ainsi dans le silence, et je me réjouis de pouvoir vous envoyer parfois une pensée venue du cœur ! »

Mais voici qui, sur Gœthe « olympien, » est plutôt critique, une fois de plus : « J’ai vu Gœthe, écrit Charlotte pendant l’été de 1811, et je le trouve très bien portant et très froid. Par la grande chaleur que nous avons, on peut vraiment se rafraîchir en sa compagnie. » Puis quelques semaines plus tard : « Il est triste pour ses amis qu’il tienne toute affection pour une erreur du cœur (dass er aile Liebe fiier einen Irrtum des Herzens haelt). Pour nous, nous ne penserons jamais de la sorte ! » Gœthe aurait-il donc formulé vers ce temps de façon aussi précise devant son ancienne amie l’hygiène olympienne qu’il mettait depuis longtemps en pratique ? Mais non, c’est là sans doute un de ces soupirs d’amertume qui montaient parfois du cœur aux lèvres de la délaissée. — Knebel, à tout le moins, gardait à la vieille dame l’affection la plus dévouée : « Nous avons récemment, Gœthe et moi, écrit-il à sa sœur en 1810, entonné d’une seule voix et de façon très cordiale les louanges de Mme de Stein. » Puis encore, le 9 juin 1811 : « Mme de Stein fut vraiment aujourd’hui dans sa bonne manière, c’est-à-dire incroyablement attachante et aimable. » Et un peu plus tard à Mme Schiller : « Je pense souvent à elle, qui a su continuer sa vie de façon si bienfaisante pour ses amis et je lui souhaite le plus gai courage. » Il lui survécut quelques années et lui donna des larmes sincères.

  1. Duentzer, II, 120.
  2. Volume VII, cahier