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reconnus coupables, devaient être déférés au Tribunal. Ce genre de conclusions était toujours agréable au Club qui, retrouvant son Danton, l’acclama.

Les hommes de l’Extrême Révolution continuaient cependant à l’attaquer. Hébert maintenant déclarait Danton et Delacroix responsables de la trahison de Dumouriez et « de tous les maux qu’avait faits à la République leur protégé. » Il fallut que, pour se tirer de ces accusations, le tribun tonnât contre quiconque parmi les généraux imiterait Dumouriez et réclamât des exécutions. La Montagne parut rassurée. Le 25, il fut élu président de la Convention par 161 voix sur 186 votans. Mais était-ce là un succès réel ? Jamais président n’avait été élu par si peu de voix et la veille Robespierre avait été porté au Comité de Salut public par un chiffre double.

Danton affecta de n’être nullement inquiet de ce dernier événement. Pour bien affirmer combien il était désintéressé lorsqu’il avait prôné le renforcement du Comité, il le réclama derechef. Si « rien ne se faisait, » c’est que « le gouvernement ne disposait d’aucun moyen politique » (par là lui-même s’excusait) : il fallait que le Comité fût érigé en « gouvernement provisoire » et qu’on mît des fonds considérables, 50 millions, à sa disposition : « Une immense prodigalité pour la cause de la liberté était un placement à usure. » II fut un instant applaudi.

Mais Robespierre et ses amis n’entendaient nullement recevoir ce cadeau de leur adversaire. Ils se méfiaient : « C’était un piège, » dira Saint-Just. On colportait un propos de Danton qui, le soir de son expulsion, aurait déclaré : « Je ne me fâche point, je n’ai pas de rancune, mais j’ai de la mémoire. » L’homme ne voulait-il point faire décerner la dictature au Comité pour l’en accabler ? Jeanbon Saint-André et Barère craignaient que cet argent prodigué au Comité ne fût plus tard une source de calomnies. « Ce n’est pas, répondit rudement Danton, être homme public que de craindre la calomnie. Lorsque l’année dernière, dans le Conseil, je pris seul, sur ma responsabilité, les moyens nécessaires pour donner la grande impulsion, pour faire marcher la Nation aux frontières, je me dis : Qu’on me calomnie, je le prévois. Il ne m’importe ! Dût mon nom être flétri, je sauverai la liberté ! » Et il maintint sa proposition. Robespierre demanda l’ajournement. On devait murmurer que