Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/370

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait quitté Paris, compromis par une assez singulière affaire d’intelligences avec les révoltés de Normandie qui, vraie ou non, avait été étouffée par Hérault de Séchelles, membre du Comité, et que Robespierre devait un jour réveiller. D’ailleurs contre lui tous les bruits semblaient admissibles : « Il avait passé en Suisse ; sa maladie était une feinte pour cacher sa fuite ; son ambition était d’être régent de Louis XVII ; à une époque déterminée, tout avait été préparé pour proclamer celui-ci ; il était le chef de la conspiration ; ni Pitt ni Cobourg n’étaient les véritables ennemis, mais lui seul. » Bref, il eût été civique de « l’égorger. » Tout à l’heure Robespierre, en se donnant l’apparence de les vouloir repousser, se fera l’écho de ces accusations. Elles couraient Paris. Par surcroît, on se faisait fort de prouver maintenant qu’il s’était enrichi : ne lui attribuait-on pas comme propriété celle de son beau-père, à Sèvres ?

C’étaient de mauvaises conditions pour entreprendre la lutte. Et il y avait lutte : il était le premier à la désirer, car il entendait combattre le terrorisme, étouffer la Terreur. « Les Girondins, disait-il à Garat, l’avaient par leur inintelligence forcé, lui et ses amis, de se jeter dans le sans-culottisme qui les avait dévorés, qui le dévorerait lui-même. » Et c’est ainsi que s’était instauré le règne des gens du sang. Mais, dira-t-il sous peu à Robespierre lui-même, « un état aussi violent ne pouvait durer ; il répugnait au caractère français. » Ce spectacle lui arrachait des larmes. Il lui inspirait même des hallucinations, s’il est vrai qu’un soir, passant sur un pont de la Seine, il l’ait vue rouler du sang. Les contemporains, amis ou adversaires, ont tous admis qu’il avait voulu, à son retour d’Arcis, mettre fin à ce régime : Dubois de Crancé écrit « qu’il entendait rouvrir les portes des prisons. » Robespierre l’en accusera aigrement. « Il voulait une amnistie pour les coupables. Il voulait donc une contre-révolution. » Il n’en était pas éloigné en effet.

Par surcroît, les insanités antireligieuses de la bande d’Hébert l’écœuraient. En son absence, cette bande avait paru prendre la direction du mouvement et s’imposer. Le 17 brumaire, la Conventions, capitulant devant la Commune, avait, contre le gré même de Robespierre, semblé adhérer à l’idée d’une fête de la Raison qui, le 20, avait été célébrée dans Notre-Dame désaffectée, et ç’avait été le signal d’une vraie débauche de déchristianisation,