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Slonta. Au Sud, la terrasse cyrénéenne s’abaisse par une série de paliers vers le désert de Libye. Sur la côte s’ouvrent deux rades de grand avenir, Bomba et surtout Tobruk, la plus vaste et la plus profonde de l’Afrique du Nord. La Cyrénaïque nous apparaît donc comme une région de dimensions restreintes, mais homogène, doublement favorisée par la richesse du sol et l’abondance des pluies, susceptible d’une exploitation agricole productive et d’une colonisation intense, autant de traits qui la différencient essentiellement de la Tripolitaine, sa voisine.

Cette diversité fondamentale, la difficulté des communications venait encore l’accroître. Il semblait que la nature se fût complu à faire de ces deux contrées limitrophes deux pays étrangers l’un à l’autre. Par terre les communications étaient pratiquement inexistantes, tant le désert syrtique multipliait de difficultés sous les pas du voyageur. Le passage d’une armée y apparaissait comme une prouesse qui confinait à l’épopée et touchait presque à la légende. Par mer, les relations restaient toujours irrégulières et incertaines. Les Syrtes étaient célèbres dans les annales de la navigation maritime ; les tempêtes y étaient fréquentes, les vents, violens et instables, les écueils, partout menaçans. Sur 800 kilomètres de côtes, du cap Misrata au cap Tejonas, aucun abri ne s’offrait au navigateur en péril. L’homme lui-même était un danger de plus dans ces régions inhospitalières. On pouvait tout craindre des tribus nomades qui erraient misérables et convoiteuses le long de ce littoral déshérité.

L’évolution historique des deux pays antérieurement à l’occupation romaine, n’est pas moins radicalement différente que leur constitution géographique. En Tripolitaine, comme dans l’ensemble de l’Afrique du Nord, l’éveil à la civilisation est venu des Phéniciens. Installés sur la côte syrienne vers 2 000 ans avant Jésus-Christ, ils n’avaient pas tardé à concentrer entre leurs mains le monopole commercial de la mer Egée. Chypre, la Crète, les Cyclades s’étaient rapidement couvertes de comptoirs. Bientôt ces commerçans audacieux, toujours en quête de débouchés nouveaux, avaient osé davantage. Ils avaient envahi le bassin occidental de la Méditerranée, colonisé la Sicile, la Corse, la Sardaigne, le littoral africain, franchi même le détroit de Gibraltar ; leurs flottes sillonnaient l’Atlantique, remontant au Nord jusqu’aux îles Cassitérides (îles Scilly), descendant au Sud