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Les deux vers que j’ai soulignés, le dernier surtout, me semblent de toute beauté. On ne saurait traduire en moins de mots, et en des mots plus parlans, une fine, une originale notation pittoresque. On ne saurait, en un seul vers mieux rythmé, plus sobrement évocateur, mieux enfermer tout un large tableau rustique. Comme la démarche lente, harassée des bœufs qui rentrent du labour est bien rendue par ce grand vers alangui où l’on entend véritablement leur pas feutré, hésitant et lourd ! Je n’ose dire que c’est là du Victor Hugo, car tous les vrais poètes ont de ces vers-là, directs, forts et simples, qui font lever devant nos yeux toute une longue suite d’images familières, mais n’est-il pas vrai que ces deux vers sont exactement de la même famille que ceux de la Tristesse d’Olympio, par exemple :

Les grands chars gémissans qui reviennent le soir,

ou que ces autres encore :

Comme un essaim chantant d’histrions en voyage
Dont le groupe décroît derrière le coteau ?

Mais on peut être de la même famille sans subir l’influence l’un de l’autre ; et d’ailleurs, subir une influence n’est pas nécessairement manquer d’originalité. Ce sont les médiocres qui ne subissent pas d’influence : leur personnalité étant inexistante, ils n’ont pas à en prendre conscience, à la dégager des élémens étrangers qui en arrêtent et, parfois, risquent d’en étouffer le développement. Or, c’est précisément à quoi servent les grandes œuvres que l’on aime, que l’on admire et que l’on imite pour tâcher de rivaliser avec elles : elles nous révèlent à nous-mêmes notre idéal intérieur, notre tempérament, le fond même de notre nature ; nous nous reconnaissons, nous nous aimons en elles, et quand nous nous inspirons d’elles, c’est de nous-mêmes encore que nous nous inspirons. Sous leur impulsion, nous essayons de réaliser nos secrètes virtualités. Il est fort possible que, si Angellier n’avait pas lu, relu et su par cœur du Victor Hugo, il n’aurait pas été tout ce qu’il a été ; mais ce n’est pas Hugo qui l’a fait poète ; et aussi bien, bénie soit l’influence de Victor Hugo, si c’est cette influence qui lui a fait trouver des vers comme ceux-ci :

Le lis au doux et blanc pétale
Vierge encore des frelons dorés,

ou comme ceux-ci encore :