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René lui exprime son dégoût, sans aucun ménagement. Elle s’humilie, implore son pardon, jure qu’elle ne le fera plus. Sur ces entrefaites, revient Dasetta. Le drame rebondit. C’est ici la scène décisive, la scène à trois qui était la scène à faire et que M. de Croisset a très bien faite. Sommée de choisir entre son mari et son amant, Marina choisit son amant, c’est-à-dire la vertu... C’est cet acte qui a fait le succès de la pièce. C’est l’acte empoignant, je veux dire l’acte à poigne, où l’auteur prend son public à la gorge, comme s’y prennent les acteurs, tout à fait réussi dans ce genre violent aujourd’hui à la mode et qui est la plus récente invention du théâtre moderne.

Au troisième acte, ce nigaud de René s’occupe à faire divorcer Marina pour l’épouser. Sa chance veut que Dasetta reparaisse, malheureux, humilié, décavé, minable et corrigé. Il a continué de jouer, mais comme il ne trichait plus, il a perdu. Émue par la détresse de son mari, Marina, qui l’aime toujours, quitte pour lui son benêt d’amant. Le couple, après ces quelques mois de séparation, se rejoint et n’en sera que plus étroitement uni. Si vous le rencontrez dans quelque salon où l’on joue, je vous dirai, comme l’avertisseur dans les cérémonies élégantes : « Prenez garde à vos porte-monnaie ! »

Dans une pièce de théâtre telle que l’Épervier, nous pouvons apprécier le mérite qui est proprement « de théâtre » et louer l’agencement des ressorts et l’ingéniosité de » combinaisons. Après cela, que vaut l’étude de mœurs ? Pour en décider, il faudrait avoir des relations dans un monde où beaucoup d’entre nous ne fréquentent pas. Que vaut l’étude psychologique ? L’amour conjugal fait du comte de Dasetta une fripouille ; l’adultère fait presque de Marina une honnête femme : c’est le monde moral renversé. Ou plutôt c’est une psychologie de théâtre qu’il convient de juger uniquement sur ses effets de théâtre.

M. Jean Coquelin, dans le rôle de l’Américain, a été la joie de la soirée. M. Brûlé est élégant et insolent à souhait dans le rôle de Dasetta. Et Mlle Dorziat a trouvé à plusieurs reprises des accens émouvans.


Du Vaudeville, où elle avait été jouée au mois de décembre 1898, Georgette Lemeunier vient de passer à la Comédie-Française. La pièce a été légèrement remaniée : quelques incidens ont été modifiés au quatrième acte ; surtout le dialogue a été revu et M. Maurice Donnay en a supprimé certains traits qui ne porteraient plus. La date de 1898 est à noter : on était en pleine Affaire. Une sorte de folie s’était emparée des esprits, et on voyait soudain les personnes les plus calmes se