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d’un certain Diego Sanz. D’accord avec Cervantes, Juan de Urbina transmet à un enfant de huit mois, Isabelle Sanz, — que l’autre Isabelle aurait eue de son premier mari, — la possession d’une grande et fructueuse maison de la Red de San Luis. En outre, Urbina et Cervantes s’engagent à payer sur-le-champ une somme de 2 000 ducats, qui constitueront la « dot » de la fille de l’écrivain, à la condition que cette dernière épouse, dans un très bref délai, l’ « agent d’affaires » Luis de Molina, — qui paraît avoir été un personnage des moins estimables. (A quoi j’ajouterai que, en effet, la prétendue « veuve » s’est mariée, peu de temps après, avec Molina, — aussitôt qu’elle a réussi à se faire livrer la « dot » promise par son vieux protecteur ; mais que, sans doute, l’amour n’a pas dû tenir beaucoup de place dans cette union, puisque la jeune femme n’a pas même voulu recourir, pour le règlement de ses procès ultérieurs, aux talens d’ « agent d’affaires » de son mari, et ne s’est jamais associée avec Molina que pour arracher à Juan de Urbina d’autres sommes d’argent, également stipulées dans l’étrange contrat.)

Libre à nous, là-dessus, d’admettre ou non l’existence d’un premier mari d’Isabelle de Saavedra, — encore que son appellation mensongère de « fille légitime » de Cervantes ne soit pas pour nous rendre probable sa qualité de « veuve. » Mais, en tout cas, l’impression qui se dégage nettement du contrat est qu’à défaut de Simon Mendez la jolie et adroite créature aura trouvé un nouvel amant dans la personne de Juan de Urbina, et qu’après la naissance d’un enfant, ce vieux financier, — qui d’ailleurs était dûment marié et père de famille, — aura jugé bon de se débarrasser d’une liaison devenue gênante en procurant à sa maîtresse d’hier une « dot » et un mari. Oui, mais pourquoi faut-il que Cervantes ait signé avec lui l’inquiétant contrat, se donnant ainsi l’apparence d’avoir lui-même connu, et peut-être exploité, le déshonneur de sa fille ?

Et qui sait si un lien direct n’a pas rattaché cette aventure de la vie du poète à une autre de ses actions, toute proche de celle-là sur la liste des documens originaux où figure son nom : je veux dire son affiliation, le 17 avril 1609, à la pieuse Confrérie des Esclaves du Très Saint Sacrement ? Le fait est que l’on ne va plus cesser, depuis lors, de le voir s’enfoncer, — ou plutôt s’élever, — dans la dévotion, jusqu’au jour où, suivant l’exemple de sa femme et de ses sœurs, il revêtira solennellement l’habit de tertiaire franciscain. Ne se pourrait-il pas que son âme de poète et de gentilhomme, brusquement réveillée, eût désormais cherché dans la pénitence l’oubli d’une conduite où l’avait