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cuirassé devenu croiseur de combat des avantages de l’ordre stratégique que lui conféraient jusque-là, sur les cuirassés ordinaires, sa grande vitesse et son fort approvisionnement en charbon, on se trouva conduit à lui donner un déplacement considérable, un déplacement qui dépassait de 20 à 2S pour 100 celui des cuirassés. Et c’est ainsi que, ces derniers augmentant toujours leur tonnage, — ne faut-il pas l’emporter sur le voisin ? — les croiseurs de combat les plus récens atteignent de 26 000 à 30 000 et même 32 000 tonnes.

En Allemagne, il semblait que l’on dût s’en tenir aux plus modérés de ces déplacemens. Du moins le Seydlitz, qui achève ses essais, ne dépassait-il pas 26 000 tonnes. Mais le Derfflinger, dont le lancement fut si laborieux, l’an dernier, à Geestemünde (Weser) et le Lützow [1], descendu tout récemment des chantiers de Dantzig, iront probablement jusqu’à 28 000. Quant aux suivans, aux croiseurs « super-Dreadnought » que réclament avec instances les chefs de la Ligue maritime, protagonistes officieux des visées de l’Office impérial de la Marine, il n’est guère douteux qu’ils ne s’approchent de 30 000 tonnes, s’ils n’y arrivent pas...

Mais quelles sont donc ces visées du personnel dirigeant de la flotte allemande ?

Pour les pénétrer, il convient d’abord d’examiner avec soin les caractéristiques des bâtimens dont il s’agit et de les comparer à celles des types analogues, qu’on achève en ce moment en Angleterre, en Russie, au Japon, etc.

Si cet examen nous révèle certaine prédominance, visiblement voulue, des facultés stratégiques (vitesse, rayon d’action) sur les facultés tactiques (armement offensif, armement défensif) des nouveaux croiseurs cuirassés allemands, nous aurons le droit de penser que, si l’Amirauté de Berlin ne fait pas fi des services que ces grandes unités peuvent rendre dans le champ clos de la mer du Nord, au cours de la rencontre décisive avec les cuirassés anglais, elle apprécie vivement aussi la valeur du rôle que pourraient jouer, sur le vaste théâtre d’opérations de l’Atlantique Nord, des croiseurs capables à la fois d’intercepter la plupart des paquebots ravitailleurs sans lesquels la Grande-Bretagne

  1. Seydlitz est le nom d’un des plus brillans officiers de cavalerie de Frédéric II : Derfflinger est celui d’un général du Grand Électeur au XVIIe siècle ; Lützow fut un chef de partisans pendant la guerre de 1813.