Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/580

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du sol. Mais l’Angleterre, restée neutre et d’autant plus libre, en fait, dans ses agissemens que nous redouterions davantage de la voir passer dans le camp ennemi, constituerait pour l’Allemagne, dont elle est si proche, la base de ravitaillement la plus favorable et aussi, les intérêts privés étant en jeu, la plus complaisante. Pour éviter le trop facile transbordement d’une rive à l’autre de la mer du Nord de tout ce qui serait indispensable, au bout de quelques semaines d’hostilités, à notre adversaire, il faudrait que nous fussions en mesure de bloquer ses côtes, comme nous l’avons été en 1870, époque à laquelle les résultats de ce blocus, pour des raisons que tout le monde aperçoit, ne pouvaient modifier le cours des événemens. Et comment bloquer ce littoral avec une marine si inférieure en puissance, une marine à laquelle, non seulement nous n’avons pas su conserver son rang en ce qui touche les unités de combat en ligne, mais encore nous refusons ou n’accordons qu’avec la plus étroite et paralysante parcimonie les engins qui seraient nécessaires, soit pour donner une chasse efficace aux ravitailleurs, soit pour les intimider en rendant impraticables ou très dangereux, au moyen de mines sous-marines renouvelées d’une manière continue, les abords immédiats des estuaires allemands ?...

Nous serions donc impuissans, — sauf quelques « raids » espacés et fort aventurés, — sur le principal théâtre des opérations de ravitaillement maritime de l’Allemagne. Il est d’ailleurs douteux que l’on voulût risquer au large de l’Atlantique les croiseurs cuirassés du type Ernest-Renan, plus faibles et plus lents que les Moltke ou les Seydlitz et, au surplus, nécessaires à l’éclairage de notre armée navale.

Et, tandis qu’il nous serait impossible de nuire sérieusement à notre adversaire, nous ne saurions davantage être en mesure de préserver de la ruine notre commerce extérieur ; et, qui pis est, si la guerre durait quelques mois (ce qui peut fort bien arriver encore, ce que nous devons même désirer à certains égards), nous ne pourrions empêcher les grands croiseurs allemands et leurs auxiliaires, les énormes paquebots rapides armés en guerre, d’entraver l’indispensable renouvellement de nos munitions, — de nos poudres en tout cas, — de nos approvisionnemens, de nos équipemens de toute espèce, de nos armes, de notre matériel d’artillerie et d’intendance, dont la majeure