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ne comprenait nullement [1]. » Certes, Jeanne comprenait la cédule ; mais son âme réfugiée vers Dieu n’entendait pas les voix de la terre. « Quand je suis en peine, nous a-t-elle dit, je me tire à part et prie Dieu. Aussitôt la prière achevée, j’entends une voix qui me dit : « Fille Dé, va, va, va, je serai à ton aide. » C’est cette aide que Jeanne implorait dans l’ardente prière qu’elle nous a apprise : « Mon très doux Dieu, en l’honneur de votre sainte Passion, je vous requiers, si vous me aimez, que vous me révélez ce que je dois répondre à ces gens d’Eglise. » Dans toute l’attitude de Jeanne, dans toutes ses paroles, dans tous ses actes, on trouve une âme où domine la raison, guidée par l’amour de Dieu. Sa mission était-elle finie ?... Devait-elle sacrifier sa vie pour une insignifiante question de costume ? Elle-même nous a dit : « Le vêtement est peu de chose, c’est un point de peu d’importance, » mais elle ajoutait : « Je n’ai pris le vêtement, je n’ai fait quoi que ce soit que par l’ordre de Dieu et des anges, » et encore « je ne le laisserai pas sans l’ordre de Notre-Seigneur, quand on devrait m’en trancher la tête ; mais, si cela plaît à Notre-Seigneur, il sera aussitôt mis bas. »

Dieu veut que la liberté qu’il nous laisse serve, en toute circonstance, à chercher, dans la droiture de notre cœur, quelle peut être sa volonté. Jeanne pose donc des questions, elle met ses conditions, nous dit le docteur La Chambre. La formule est lue par Massieu et Jeanne se décide à mettre une croix, mais non sa signature, acte parfaitement raisonné, acte par lequel, avec sa finesse habituelle, elle répond à la duplicité des juges en la démasquant.

Officiellement et en public, ils veulent une abjuration solennelle à laquelle elle a opposé un triple refus.

Officieusement et en sous-main, les juges renoncent à cette abjuration. La preuve et le gage de cette concession lui sont apportés dans une cédule, où les juges ne demandent plus que l’abandon du costume ; on lui dit vouloir la sauver, lui rendre la liberté...

Pour faire sortir les juges d’une attitude aussi contradictoire, Jeanne est provoquée à recourir à un langage conventionnel

  1. Déposition de Guillaume Colles :
    « La cédule fut lue en public je ne sais plus par qui, je crois que Jeanne ne la comprenait pas. » C’est encore un témoignage qui vient s’ajouter à tous ceux cités pour établir que Jeanne n’a pas répété la formule.