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comme le dit Manchon, c’est que ce décor faisait partie de la mise en scène voulue par l’évêque de Beauvais.

Un bûcher qui puisse consumer un corps humain ne s’improvise pas ; il faut non seulement un amas considérable de combustible, mais une construction sur laquelle s’entasseront bois, fagots et résine et où le condamné devra être lié ; or tous ces préparatifs furent faits pour le 30 mai, sur la place du Vieux-Marché ; rien, au contraire, n’avait été préparé le jour de Saint-Ouen.

Jusqu’alors, Jeanne avait été détenue dans les prisons civiles, comme prisonnière de guerre ; désormais, elle s’y trouve par le jugement de l’évêque. Ramenée au château, elle n’y avait pas quitté le costume viril ; aussi, dès l’après-midi, le vice-inquisiteur Lemaitre, accompagné de Thomas de Courcelles, Nicolas Midi, Loyseleur, etc., courut-il à la prison. Cauchon vint les rejoindre ; lui-même en apporte le témoignage.

Pour décider Jeanne, les deux juges venaient donc, en personne, prendre l’engagement : « qu’elle serait entre les mains et dans les prisons de l’Eglise et qu’elle aurait une femme avec elle. » De plus, Jeanne nous dit elle-même, le 28 mai, quelles furent les promesses faites : « A savoir que j’irais à la messe, recevrais mon Sauveur et que l’on me mettrait hors des fers. » En acceptant de quitter momentanément le costume viril, elle avait exigé qu’on le laissât à sa disposition et auprès d’elle. Son témoignage ne permet pas d’en douter lorsqu’elle répond à Cauchon, le 28 mai : « Je l’ai repris parce que l’on n’a pas tenu ce que l’on m’avait promis... » et encore : « Je l’ai pris de ma volonté et sans nulle contrainte. » Cauchon n’avait hésité devant aucune promesse, car il tenait, à tout prix, à l’abandon du costume, abandon qui était, pour le simulacre qu’il cherchait, l’un des artifices les plus nécessaires. Jeanne est cependant laissée entre les mains des soudards. Mais avec ce changement de costume, elle n’est plus pour eux la guerrière, ni la vierge inspirée ; elle devient une malheureuse condamnée qu’on abandonne à leurs outrages. Aussi trois jours ne s’étaient pas écoulés que, se voyant trompée et afin de sauvegarder sa vertu, Jeanne avait repris le costume viril.

La sentence « Tu Johanna, » que, par crainte de protestation, on n’avait pas osé lire à Saint-Ouen, déclarait que Jeanne avait abjuré. C’est le premier faux et le point de départ de tous les