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timbales ; mais tout cela m’a si peu diverti que je souhaitois estre à vingt lieues de là. Mon chagrin en a tellement paru, que M. B. m’a mandéce que j’avois, car je ne voulois pas faire raison d’un seul verre de vin, aussi ne l’ay pas fait... Le bruit des verres, trompettes et timbales mêlé avec les flûtes douces et les grands cris des ivrognes, ont fait la plus drôle harmonie du monde et m’ont donné l’occasion à trouver un coin pour rêver à mon aise, pendant que les autres dansoient, se déshabilloient et sautoient sur la table... »


Le début de la lettre qui suit répond à un des plus graves reproches faits à la correspondance de Konigsmarck, quant à la brutalité des termes et des images. Sophie-Dorothée, pour affinée que soit la forme des siennes, n’en juge pas ainsi.

Elle ne croyait pas devoir exiger de son amant plus de réserve dans l’intimité que n’en gardaient les hommes de ce temps.


Lundi, 20.

« A mon réveil, l’on m’a donné votre lettre, je l’ai trouvée charmante, tendre et telle que je souhaitois. Je vous demande la continuation des sentimens que vous m’y témoignez. Si vous les changez, je ne veux pas vivre un moment. Il n’y a plus que vous qui me fassiez trouver la vie agréable, et depuis vostre départ, je n’ay pas eu un moment de joye. Quand je pense que tous les pas que vous faites vous esloignent de moi, je suis au désespoir. J’ai songé mille fois à vous suivre. Que ne donnerois-je point pour le pouvoir faire et pour estre toujours avec vous ; mais je serois trop heureuse et il n’y a point parfaite félicité dans ce monde.

« Si quelque chose me peut faire plaisir dans l’estat où je suis, c’est vous bien marquer mon indifférence pour tout le monde et mon sincère attachement pour vous. J’évite tous les hommes, je ne parle qu’aux femmes et je le fais avec un vrai plaisir ; ne m’en ayez point d’obligation, il me seroit impossible d’en user autrement et vous estes trop charmant pour qu’on puisse regarder personne après vous.

«... Je n’ay point sorti de ma chambre, je pars dimanche et j’yrai ce soir prendre congé de la Romaine...

« Si je vous disois tout ce que je pense pour vous et jusqu’où va ma tendresse, je ne finirois jamais ; elle est au-dessus