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plus hardis jeunes gens de lettres ont d’abord le désir d’étonner le prochain ; et j’avoue que, souvent, ils l’ont : mais, principalement, ils souffrent, même s’ils ne le savent pas, de se sentir si jeunes dans l’univers qui est si vieux. Pauvres petits ! ils ne songent pas que déjà Homère continuait une longue littérature. C’est l’opinion de M. Michel Bréal ; et c’est l’évidence, nulle perfection n’étant soudaine. Ils se laissent aller à des erreurs qui, les ayant éloignés de la raison, les en rapprochent ensuite et, au bout du compte, les y conduisent, pourvu qu’ils ne soient pas des orgueilleux, et entêtés de leur folie : car on n’échappe guère à la raison, se fût-on promis d’autres joies. Un jour, ils s’aperçoivent de leur faute et ils pardonnent à la destinée qui, la veille de leur naissance, n’a point anéanti, d’un déluge, les bibliothèques et tout le témoignage du passé.

M. Jules Lemaître ne me semble pas avoir commis ce péché de révolte pour lequel tant d’autres ont à battre leur coulpe et, quelques-uns, la battent sans vergogne ou modestie. Dès ses premiers ouvrages, il apparut comme un très pieux humaniste qui ne sacrifie pas les siècles au lendemain. Ni dans ses phrases les plus souples et adroites, il n’admettait aucun désordre ; ni dans ses opinions et ni dans son incertitude. Il se fiait à un usage que nos écrivains les plus mémorables consacrent ; et il soumettait son doute même, la fantaisie de son doute, à leur exemple et à leur discipline. Cependant, la nouveauté le tentait. S’il a choisi, pour les étudier, ses contemporains, c’est qu’il avait plaisir à connaître d’eux la plus récente idée qu’on se fît du hasard, de la vie et de la beauté. Il ne dissimulait pas sa prédilection des romans, comédies et poèmes qui, venus hier et de son voisinage, s’adressaient à lui familièrement, lui parlaient de ce qu’il aimait ou redoutait et, bref, ne lui racontaient pas une histoire périmée. Il était curieux et avait, je crois, son meilleur amusement à guetter les prouesses qu’on allait accomplir pour réaliser sous une forme d’art l’émoi moderne. Aujourd’hui que, déçu de quelques attentes, il est retourné aux vieux livres, si les éditions originales l’enchantent, c’est notamment pour leur nouveauté ancienne : nous avons tort de traiter comme vieux le passé, qui était plus jeune que nous. Un vieux livre de chez Barbin, au Signe de la Croix, ou de chez Ribou, à l’Image Saint-Louis, engage son heureux possesseur à imaginer le matin que fut mis à l’étalage ce volume tout frais encore, ce volume que payent trente sols et que lisent, pour la première fois qu’on le pût lire, mesdames de Sévigné ou de Lafayette, avec une souriante surprise. La nouveauté est charmante : elle a bien l’air d’un miracle qui interrompt