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chevaux ou des lapins contre des doses de venin centuples de celles qui normalement les tueraient. Le sérum de ces animaux constitue alors un préventif et un curatif excellent des morsures de serpens, et il a sauvé déjà des milliers d’existences. Il résulte notamment des travaux de M. Calmette que les divers venins ne sont pas partout pareils et contiennent deux élémens toxiques dont l’un agit surtout sur le système nerveux (il est prépondérant chez les Colabridæ) et l’autre sur le sang qu’il coagule (surtout abondant dans le venin des Viperidæ) et dont les proportions varient suivant les espèces reptiliennes. De là, la nécessité de préparer, suivant le pays, toute une gamme de sérums antivenimeux. Le docteur Calmette a déjà réalisé dans cette voie une œuvre magnifique.

La découverte des sérums antivenimeux a une très grande importance. Elle montre d’abord qu’à côté de la théorie phagocytaire de l’immunité due à M. Metchnikoff et que nous avons exposée, il faut faire aussi un large crédit à la théorie chimique de M. Ehrhch, qui, longtemps avant sa découverte du salvarsan, l’a conduit à des découvertes remarquables. Grâce à elles, grâce à ce que nous savons des sérums antitoxiques, nous pouvons, sans faire une extrapolation trop hasardée, supposer qu’un jour viendra, où aucune intoxication, de quelque nature qu’elle soit, ne sera plus nuisible à l’homme. Rien donc ne nous interdit de penser que, dans les pharmacies de l’avenir, on trouvera des sérums contre tous les poisons végétaux ou minéraux, contre l’intoxication tabagique, contre l’intoxication alcoolique, contre tant d’autres empoisonnemens qui étiolent l’humanité, et contre un grand nombre de maladies, qui ne sont que des intoxications de notre organisme. Tout ceci est peut-être un rêve ; mais c’est un rêve dont les formes indécises et lointaines reposent sur le socle solide de la réalité démontrée.

Il n’est point de médaille sans revers. Nous avons déjà exposé que l’emploi des sérums produit souvent des accidens anaphylactiques que l’on range sous le nom de maladie des sérums. Nous avons dit aussi comment, par une technique spéciale, on parvient à les éviter à peu près complètement. Nous n’y insisterons pas : une petite pierre en travers de la route n’empêche point l’envolée de celle-ci vers les cimes.

Avant d’achever cette trop brève randonnée dans le monde nouveau dont Pasteur fut naguère le Christophe Colomb, et où l’œil déjà se perd à chercher des frontières qui fuient vers l’infini, il faut s’arrêter un instant dans le domaine nouveau qu’un des plus grands et des