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de nos grands établissemens scientifiques d’État ; que de modèles à suivre qu’ignorent la routine bureaucratique et le mandarinat officiel !


Il y a quelques mois, un grand journal quotidien eut l’idée de demander à ses lecteurs, par une sorte de référendum, quel était, à leurs yeux, le plus grand homme qui ait jamais existé. Ces consultations journalistico-populaires ont quelque chose d’un peu puéril ; elles n’en fournissent pas moins des données intéressantes, sur la mentalité du grand public. Or Pasteur fut désigné par une grande majorité des lecteurs consultés. Napoléon n’arrivait qu’en seconde ligne et bien loin derrière. L’humble apôtre de l’intelligence au service de la bonté, le doux « pasteur » du dolent troupeau des souffrans, — qu’on me pardonne ce mot, — avait vaincu le vainqueur du monde. Ainsi se justifie dès aujourd’hui cette parole du maître : « L’avenir appartiendra à ceux qui auront le plus fait pour l’humanité souffrante. » — Le siècle qui a produit en France un tel homme et une telle lignée de découvertes issues de lui ne fut point pour ce pays, quoi qu’en disent d’aucuns, un siècle de décadence. Et le siècle de Pasteur, dans l’avenir, pourra faire figure fièrement à côté du siècle de Louis XIV. Bismarck, le rude champion de la brutalité, médusé comme un des fauves d’Orphée par la lumineuse domination de l’Idée, Bismarck l’avait bien senti dans son cœur de triple airain, lorsqu’en 1886, au cours d’une discussion, il disait à son interlocuteur ce mot encore inédit, mais dont nous garantissons l’authenticité : « Oui, mais la France a Pasteur. »


CHARLES NORDMANN.