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Piazza san Firenze, je vis et j’entendis, dans la même salle, entrer soudain avec un froufrou léger de robes claires et un joli tintement de babillage, deux jeunes femmes. Elles parlaient assez haut, en français. L’expérience m’ayant démontré qu’il n’était pas toujours prudent de révéler sa nationalité à tous les Perrichons et Perrichonnes, Chauvins et Chauvines, Snobs et Snobinettes trop souvent portés à dénigrer les pays qu’ils visitent ou à faire sonner en public leurs titres, rangs et fonctions, je me tins coi, ne parlant plus au garçon qu’en italien. Les deux Parisiennes prirent place à une table voisine. Leur conversation, roulant tout entière sur leurs visites dans les églises, musées et palais florentins, m’apprit vite qu’elles étaient des artistes, intelligemment surprises et franchement enthousiasmées par toutes les beautés de l’art qui s’étaient révélées à leur avide curiosité dans ce premier contact avec le génie toscan. Je me doutais déjà que l’une d’elles devait être ma recommandée inconnue, lorsqu’en se levant et remettant leurs chapeaux pour partir, la blonde dit à la brune : « Eh bien ! as-tu, comme on te l’avait promis, des recommandations pour la Villa Médicis ? » — « Mais oui, repartit la petite brune, très pétulante et très vive, et dont le ton décidé et l’admiration judicieuse m’avaient frappé durant leur colloque. J’ai un billet de M. Georges Lafenestre. » Ce n’était plus le moment de me présenter moi-même en les retenant dans cette salle commune. Je continuai de garder le silence ; mais, quelques jours après, je reçus les remerciemens de Mlle Jacquemart par l’entremise de nos amis communs. Je ne devais d’ailleurs faire sa connaissance personnelle qu’en 1872 ou 1873, chez Maurice Cottier, à la suite d’un dîner d’artistes, d’écrivains, d’amateurs, où son entrée, en longue robe de satin blanc à traîne, et son allure, un peu fière, de triomphatrice souriante, avaient fait sensation.

L’année même de cette rencontre à Florence, en 1867, Mlle Jacquemart, élève de Léon Cogniet, à vingt-six ans, exposait au Salon deux portraits, l’un d’un homme, l’autre d’un enfant. Elle y avait envoyé chaque année, depuis 1865, d’abord des tableaux de scènes familières, historiques et religieuses. Le Père des Orphelins, Molière chez le barbier de Pézenas, Le Cabaret de la Pomme de pin, Jésus-Christ et les disciples d’Emmaüs, avec quelques portraits remarqués. L’année suivante, elle allait